Tout l'après-midi, nous
avions circulé sur une route large, mauvaise, face à un ciel
brillant. Le dos en compote, le coccyx meurtri par les trous profonds
de la chaussée laissés par l'hiver et le non-respect des barrières
de dégel, nous arrivons vers dix-huit heures trente dans cette ville
: La Grande Beausseigne, c'est son nom, comme d'autres s'appellent La
Grande Motte.
Aussitôt garés, nous
nous engageons dans une rue commerçante aux grandes devantures
vitrées dans lesquelles le soleil couchant fait miroiter mille
reflets : contre le ciel resplendit brusquement un lavabo ou une
baignoire ou d'autres faïences, comme des fruits demeurés dans les
arbres jusqu'en cette fin de février. Nos silhouettes rougies,
déformées grimacent parmi les faïences. Yeux écarquillés,
appareils photos prêts à saisir les images insolites, mains gelées,
nous savons qu'il ne nous reste que peu de temps avant la nuit, et
que la ville est une taupinière, surtout le soir. Quand l'obscurité
la recouvre, ça a beau s'agiter en dessous, si l'on n'est pas du
coin, on n'en sait rien. C'est l'ignorance et on peut très
facilement passer tout près de mystères indécelables. Dans une
dizaine de minutes, tout au plus, la nuit recouvrira tout, parcs,
rivière, rues, seuls les halos des lampadaires publics seront
réellement vivants. La ville devient vite le fleuve de l'oubli, de
tout oubli.
photo JF Barthale
photo JF Barthale
1 commentaire:
beau texte et belle photo en miroir, j'aime beaucoup
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