"Car il faut le dire, et cela saute aux yeux, dans plusieurs regroupements de parcelles, aujourd'hui, l'ordre règne : ni cabane de guingois, ni bidon de plastique bleu pour récupérer les eaux de pluie, ni bataillons de fleur éteintes -rien qu'une surface de production dûment peignée autour d'un cabanon réglementaire de couleur unie et, surtout, privé de tonnelle et même de fenêtre ou d'auvent : sous la pression d'une idéologie composite où entrent pour une bonne part des réflexes petits-bourgeois d'ordre er de conformité teintés d'un souci écologique plus nomatif que généreux, les jardins semblent pouvoir, si nul n'y prend garde, glisser peu à peu vers une caricature où plus rien d'ouvrier et, surtout, de libre, de retiré, d'errant, ne subsistera. Peut-être est-ce pour cela que, surtout dans les services, l'on ne dit plus "jardins ouvriers" mais "jardins familiaux" comme s'il y avit de la honte à remuer le vieux fond sans lequel, pourtant, ils n'auraient jamais existé.
J'ai entendu dire que les propriétaires de pavillons qui se construisent alentour des jardins et qui, lotissement après lotissement, finissent par par les rejoindre se seraient plaints, justement, de l'aspect négligé de beaucoup d'entre eux : on comprend facilement ce qui est en jeu ici, l'énigme sociologique n'est pas bien grande mais, mine de rien, ce sont deux mondes qui s'opposent. Le second, celui qui arrive avec les pavillons, les lotissements et tout ce qui les accompagne (matériaux, formes, usages), peut se présenter avec arrogance comme le visage du renouveau ou de la modernité (ce serait bien dans le ton d'une époque où les ouvriers qui font grève sont décrits comme "hostiles au changement"), il n'est pourtant que le fruit d'un avachissement du présent sur lui-même. Dans la combe de la Cotonne ou du côté de Montaud, partout où les jardins se sentent libres entre des palissades bricolées et des assauts d'herbes folles, par contre, ce que l'on peut percevoir, et peu-être est-ce déjà une survivance, c'est un nouage étonnamment raffiné, entre des temporalités différentes - le rêve d'un futur éteint dans un passé qui chantonne et un présent sans doute ouvert à lui-même mais comme une jachère."
Le dépaysement- Voyage en France - Jen-Christophe Bailly
Jeudi 8 mars 2012 à la méditahèque de Tarentaize - 19 h - rencontre avec Stéphane Bouquet
4 commentaires:
Oui, Marie, Pierre, à l'époque où les jardins s'appelaient encore ouvriers et étaient de guingois, on pouvait rêver ; c'est vrai, il en subsiste encore qqs uns bien cachés, et il y a ce beau livre "A l'assaut des collines - "Regards sur les jardins ouvriers stéphanois" ouvrage auto-édité et auto-produit, avec les belles photos de Judith Chomel et cette préface, extrait du journal "Le correspondant" du 25-07-1898
"Déjà une vie de jardin s'instaure peu à peu sous des tonnelles (...)construites de toutes les manières et avec tous les matériaux, débris de planches, moitiés de persiennes, morceaux de treillis, lambeaux de stores ou de toile métallique, etc. Il y a quelques fois, une apparence de table au milieu et un ou deux bancs tout rudimentaires. Ce n'est pas riche, ce n'est cependant pas laid, surtout lorsque les plantes grimpantes viennent masquer la misère des matériaux, et l'on aime à s'y réunir la famille entière, quelque fois avec un parent, un voisin, un ami, pour y causer à l'aise, pour y jouir de la vue et regarder pousser les choux, les carottes, les salades (...)."
Je vous l'apporterai ce soir
On attend toujours que nos jardinières nous invitent pour un atelier d'écriture dans leur jardin !
dès que le soleil revient réchauffant la terre et les coeurs vous viendrez au jardin où il y a cabanon, récupérateur de pluie, bleu, bois de récupération pour faire des tuteurs, fumier sur la terre, grillages, plein des voisins, et un Nain de jardin.
Mais le livre de JC Bailly est drôlement bien. Ce soir j'en apporte des phrases pour le goûter
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