A la Taupinière on la dénomme la Grande Beausseigne en raison de son léger dérangement que d'aucuns attribuent à sa naissance rumeurs qui la font surseoir au creux du ventre maternel comme les fruits tardifs demeurés dans les arbres retenue par le cordon ombilical agrippée aux étoiles attendant Kairos* jusqu'à ce que la ville n'en puisse plus de retenir l'ignorance de la nuit.
La grande Beausseigne est donc née trop tard et son nom, pourtant choisi six mois avant sa venue au monde, s'est égaré dans l'oubli découragé par tant de langueur, par tant de contractions qui ne contractent que les nerfs.
Et puis à la surprise de tous, au rythme du fleuve drainant des détritus, le bébé a glissé dans le lavabo, flasque dans les mains de l'infirmière chargée de sa toilette, exaltant sa chair de faïences blanchâtre et fissurée.
Fissurée, elle est restée la Beausseigne.
La grande Beausseigne, donc, tourne en rond dans le quartier comme dans une baignoire. Elle fait des bulles. Divague. Chante à tue-tête. Crache. Parle à tous et toutes. Pleure ses amis perdus en Arménie. Pourquoi l'Arménie ? Nul ne le sait. Il ne faut pas savoir. Là-bas, la Mauvaise - raconte-elle - éblouit une route solitaire, une route large et dangereuse. Elle serait l'ambassadrice des non-nés de l'autre pays, par-delà le Mont Arr, vibrant au-dessus des voitures, glaive levé (...)
* Kairos : le bon moment, le temps opportun, le moment venu que l'on "sent" et qui ne découle pas du chronos, de l'organisation sociale du temps.
1 commentaire:
L'autre soir j'avais souhaité une seconde lecture, ton texte me touche si profondément. Contente de pouvoir le lire si rapidement, ta voix manque, il est des textes qui collent si complètement à une voix. Merci
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