T'apercevoir: te voir sans te prendre dans les rets de l'immobilité. Te voir sans même vouloir t' "avoir", sans même savoir ce que j'aurai vu de toi. Ton image, je ne la "possède" donc pas. Mais elle demeure en moi. C'est elle, plutôt, qui me "possède" désormais.
Georges Didi-Huberman
du tocsin du premier août 1914 à seize heures
du glas qui n’en finit pas de psalmodier la litanie des morts
comme autant de balles transperçant les corps
c’est le solfège du cataclysme qui écrit un temps interminable
puis c’est le silence qui suit où l’on retient son souffle
il n’y a plus rien à dire
voici le glas de nos gars qui sonnent
puis c’est le tambour qui passe et repasse
c’est
la voix de l’autorité qui appelle au devoir d’état 3 580 000
hommes
de
l’oubli ( ne pas)
des
affiches blanches surmontées de drapeaux tricolores
de
la mobilisation générale
des
gens amassés devant et criant “à bas Guillaume”
du
grand-oncle Guillaume débaptisé dans la foulée et renommé Marius
des
hommes cherchant dans les commodes le livret de mobilisation
des
sacs avec deux chemises, un caleçon, deux mouchoirs
de
quoi manger pour deux jours
d’Alphonse
sac sur l’épaule et regard perdu
du deux
août 1914 et des vies déchiréesde l’oubli ( ne pas)
de la foule dans les gares et des scènes d’adieux
des soldats pantalonnés de rouge et encapés d’un bleu lourd d’horizon
de la chaleur et de la soif pour tous ceux qui marchaient vers la Lorraine
du 38ème Régiment d’Infanterie prêt pour le départ le 5 août
d’Alphonse et ses compagnons mineurs, cultivateurs, ouvriers du Velay
des 30 kilos sur le dos et du Lebel avec sa baïonnette
de l’attente qui commençait pour ceux qui restaient
des
regards qui n’en finissaient pas de scruter le bout du chemin
de
ce monde pétrifié et de l’horreur qui débutait
de
l’oubli ( ne pas)
des
rumeurs sur les bonbons empoisonnés donnés aux
enfants
du
nom du préfet de la Loire monsieur Lallemand
du
6 août 14 pris pour un ennemi un sourd-muet fut tabassé à
Saint-Etienne
d’une
première lettre d’Alphonse : il
marche toujours vers l’avantdes unes de journaux qui ne disent pas tout
du
silence dans les villages
des mots
d’Alphonse où il dit être dans un bon pays où on l’a bien reçune vous faites pas de mauvais sang et gardez toujours bon espoir
votre fils et frère pour la vie signé Alphonse
de
l’oubli ( ne pas)
des
défilés dans les villes derrière la clique et le drapeau
des
larmes des femmes qui parlent mieux que des fanfares
des
canassons de toute sorte entassés dans les wagons
des
fusils Lebel, des canons de 75 et des mitrailleuses de Saint-Etienne
du
règlement d’obéissance totale et de soumission de tous les
instants
de
l’incompétence de certains généraux
des
gamelles qui rutilent au soleil
de
ces fantassins figurants d’une armée du passé
des
marches de cinquante kilomètres sous le soleil
de
l’oubli (ne pas)
de
la première confrontation avec le feu de l’ennemi le 14 août à
Ancervillers
où tombe
Eugène le premier mort de Tiranges.
du
guet-apens dans la région de Sarrebourg, suivi d’un ordre de
retraite générale le 21 août
de
la seconde lettre d’Alphonse écrite au crayon sur un mauvais
papier, tamponnée le 23 août 1914 à Dompaire,
commune des Vosges
j’ai
reçu votre lettre je vous fait réponse de suite, vous êtes dans la
détresse, ce n’est pas la peine, ça n’avance à rien. Je suis
en bonne santé c’est tout ce que je puis vous dire, je ne peux pas
vous dire où je suis ni ce qu’on fait ça nous est défendu.
Maintenant pour l’argent vous me demandez si j’en ai besoin, j’en
ai encore quelques uns, la Séraphine m’en a donné. Ne m’en
envoyez pas beaucoup de peur qu’il se perde. Je ne vous en dit pas
davantage pour cette fois, je termine en vous embrassant tous bien
fort. Votre fils et frère pour la vie. Alphonsede cette dernière lettre écrite juste avant la bataille de Baccarat où le pont sur la Dolaizon devait être repris à l’ennemi
du soir du 24 août où le 38 et le 86 ème revenant de Sarrebourg ont l’ordre d’arrêter l’avancée allemande
des
durs combats qui ont lieu le 24 et le 25 sur Baccarat où “les
unités s’élancent dans un élan irrésistible à la baïonnette
et rétablissent intégralement la situation”
des
1300 morts sur 3200 engagés dans la bataille
de la
mort de Jean-Baptiste le 24 et d’Alphonse ce 25 août
qui ne sera annoncée que le 25 janvier 1915
de
l’oubli ( ne pas)
des
blessés couchés dans les avoines
des
hommes restés au champ d’horreur
des
fantassins qui se protègent de l’artillerie ennemie avec leurs sacs
de
la peur face à une mort certaine
des
milliers d’hommes tués par l’absurdité des ordres
des
convois de blessés d’où montent les plaintes
des
premières gueules cassées
des
civils fuyant les villages incendiés
du
premier mois d’une guerre qui n’en finira pas de s'éterniser
2 commentaires:
L'absence de commentaires n'est pas due à un manque de lecture ou à un désintérêt, bien au contraire. Je reste simplement interdite devant tant de travail et de qualité. Et puis, dire à ma maîtresse "c'est magnifique" à chaque fois, me semble si pauvre ... Je préfère te redire MERCI pour ttes ces belles consignes et tout ce qu'elles sous-entendent comme réflexion, sérieux, boulot en amont.
Merci à toi et à vous tous qui me faites confiance! (alors que je doute beaucoup lors de ma préparation...!)
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