samedi 26 mai 2018

journal d'un berger-paysan-guide aspirant

Matines - entre chien et loup

L'aube assombrit le village. Aucune ombre ce matin.
Aux premières neiges, mes bêtes sont redescendues des pâturages.
Je pars pour une traversée du massif du Pelvoux, aller-retour. Léger. Une miche de pain de campagne, un peu de fromage, un couteau, mon manteau qui me couvrira cette nuit.
Je passe ma dernière épreuve pour devenir guide de montagne. Apparemment la plus facile. Pourtant je devrai gravir deux sommets, descendre le grand glacier, passer plusieurs cols peut-être dans le brouillard,  ne pas m'égarer sur les multiples sentes. Ne pas chuter dans une crevasse. M'agripper aux frêles arbustes. Contourner des lacs. Franchir les rivières débordantes. Ecouter la forêt. Guetter le loup.
Personne ne sort me donner du courage.

Sexte - sonorités

Mon corps est réchauffé, mes muscles toniques mais souples. Les genoux ne craquent plus. Le ciel s'est recouvert de petits nuages et s'est légèrement teinté de rose. J'aime le coeur de l'automne qui bascule dans l'hiver, les prairies rougissent balayées par le vent.  Le silence s'installe après les tintamarres alertes des brebis surveillées par les aboiements des chiens. Je me surprends à sursauter en entendant les battements de mon coeur. Un pierrier s'est écroulé derrière moi, je ne l'ai pas vu. Le fracas m'a redonné de l'envie. Là, un cri déchire l'espace, c'est celui des grands oiseaux à l'affût des carcasses des bêtes égarées.
Nous sommes peu de connivence.

Vêpres - paroles

Tout à l'heure, le colporteur ne manquait ni de courage ni de bagou. Il tirait sa carriole sur le chemin de Venosc quand nous nous rencontrâmes. Il avait suivi l'ancienne route romaine en direction de Briançon qu'il comptait atteindre par le col du Lautaret dans quelques semaines. Il voyageait tant qu'il lui restait de la marchandise. Certaines années, son périple s'arrête au bout de deux mois, me racontait-il, mais le plus fréquemment il parcourt les bourgs toute une saison avant de pouvoir redescendre dans la vallée. Les affaires... fluctuantes, comme les guerres, la famine, fragiles comme la parole.


Laudes - directions

Le repos nocturne a été bref, j'avais le sentiment du retard.  Grâce au bon vouloir de la lune, j'ai pu poursuivre mon chemin sans encombre, voyant pratiquement comme au petit jour. Au loin, j'apercevais la Bérarde. Mais je devais aller encore plus en avant, jusqu'à la Grave, braver les tumultes de la glace agitée et me méfier des mouvements des moraines. Après, si je restais vivant, m'y attendraient le guide instructeur et quelques confrères.

Sur ma gauche, le Pelvoux converse maintenant avec la Meije lumineuse. Je suis sur le chemin de retour. Quand j'arriverai enfin, le village sera endormi, de nouveau. Décidément. Mais je sais que je pourrai veiller pendant longtemps, des années peut-être, sur les anciens, les femmes et les enfants. Oui, je pourrai demeurer ici grâce à mon travail de guide, de cultivateur et de berger. J'accompagnerai ces touristes anglais dans le massif, et je gagnerai suffisamment d'argent. Je ne serai plus contraint de quitter le pays comme mes voisins s'en allant embaucher à l'usine, en bas,  dans la brume.
A cet instant, je suis simplement satisfait.

2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Quelle belle idée, ces titres et sous-titres

Michelangelo a dit…

J'en ai connu un, de ceux qui ont été obligés de quitter leur montagne, il a franchi le col de Tende pour aller travailler dans les mines du midi, cinquante ans après il y avait encore l'éblouissement des panoramas alpins dans son regard.