Mais quels gémissements écrasés
entre les rives du ravin des jugements ? Quelle grisaille à
dénicher dans ces reliefs ? Quel mirage à enlacer ou quel mythe à
revivifier?
Je regarde la carte comme on
regarderait le ciel, mais un ciel sans tumulte, semé de fins nuages
blancs, de traînées vaporeuses, à la recherche de signes qui
reprendraient vigueur dans la loupe d’une larme. C’est juste une
sensation de vide qui affleure, une obscurité peuplée d’invisibles
images, un mélange de frissons et de murmures. Peut-être une sorte
de vertige s’insinue entre les épaules à vouloir déchiffrer le
grimoire d’un temps que l’on n’a pas connu, soulever la vie
souterraine de voix et de pensées.
Ce territoire lointain, secret,
enfoui, que personne devant moi n’a jamais nommé, ce lieu porteur
d’ irréalité, qui lui a donné ce nom? Nulle mention n’en est
faite ailleurs que sur cette carte. Tout est à inventer, à créer;
développer une mythologie pour accroitre ses rives et leurs
puissances, projeter des entassements de riens et dessiner un
labyrinthe de questions où faire résonner les corps creux qui
essaient de se débrouiller avec les mots. Il faudrait aller filmer
les incertitudes de ce lieu qu’on dirait sanctuaire ou lieu
d’attente, mettre en forme une légende nouvelle, faire déambuler
un cerf ou quelque animal d’envergure. Peut-être même aller
jusqu’à éradiquer les ronces qui recouvrent les sols, courent
sous terre, se ramifient en autant de lianes et de réserves de
secrets… Retrouver les pensées primitives qui ont pris forme là
sur ce ravin d’incertitudes, risquer une parole, être plus fort
que ce creux que nul n’arpente, se tenir dans cet écart et laisser
tomber une constellation de mots, ces petits cailloux de la mémoire
et des silences.
Ravin du jugement? Y-a-t-il un
lien avec la légende du pont du diable légèrement en amont ? Le
Diable grugé après son accord passé avec le seigneur de Chalencon,
ayant construit ce pont de pierres en hauteur à deux arches et qui
ne craint donc plus les avatars des crues à répétition de l’Ance,
et ayant emporté l’âme d’un chien dans les Enfers au lieu de
celle d’un manant, se vengerait en faisant subir dans le fin fond
de cette vallée un jugement sans douceur à quiconque se risquerait
sur ces rives…
Forcer la carte ou la vision
satellite à délivrer ses secrets. Comprendre que ce ravin est situé
sur l’autre rive de l’Ance, côté Saint-André de Chalencon, et
donc éloigné des terres connues, et pourtant pas si loin de Durand,
la maison mère. Accessible à pied mais il faut traverser la
rivière et soudain le souvenir des têtes flottant sur l’eau, les sculptures de mon amie, ...il
y avait un gué : par lui le ravin du jugement aurait sans doute pu
être rejoint. J’ai donc vu ses rives sans le savoir, effleuré son
nom sans me poser de questions, être jugée sans avoir mon mot à
dire...Quelque chose s’agrippe aux tempes, on se sent petit enfant
qui a dû faire quelque bêtise, sans plus trop savoir ce que cela
peut bien être, mais l’adulte le regarde de ses yeux noirs et la
sentence tombe. Ce sera la dernière promenade, sous la nappe de
cendres.
3 commentaires:
Oui, magnifique ! Quelle superbe façon de vivre son confinement
Bravo pour ce territoire et pour le poème de Syvia Plath que j'ai lu tout à l'heure encore pénétrée du livre "Les femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud que je viens de terminer.
"dans la loupe d’une larme" et bien d'autres phrases. ça donne envie d'écrire encore, en plus. on n'en aura donc jamais fini de ces territoires à explorer à la loupe, avec ou sans larmes, je ne l'avais que survolé, même avec tout ce temps, j'en manque encore. nous ne devons pas lâcher l'affaire. en tous cas ça, c'est vraiment super beau et une belle idée encore.
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