Maison, ma belle maison
En guise de remerciements, d’au revoir, mais pas de parasol, les mots du cœur, une fois encore à la rescousse.
Elle est là, petite et timide, dans la nudité de ses dix ans, des couettes qui battent la mesure quand elle commence à grimper dans cette rue qu’elle découvre et trouve étrange, un peu austère, bourgeonnant de solitude, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Un chat traverse la rue devant ses pieds et la fait frissonner. Elle sait qu’il lui faut presque rejoindre le sommet de la rue (ses parents ont écrit le numéro sur un bout de papier) avant de trouver le portail métallique que désormais elle devra pousser pour entrer dans sa nouvelle maison qu’elle n’a pas encore visitée.
Elle s’appelle Chloé, ses parents ont décidé qu’ils devront désormais vivre ici, lui ont expliqué qu’elle aurait un grand jardin, fini le balcon exigu, les voisin du dessus qui vous arrosent en fin de journée, en ouvrant le portail elle est déçue, des escaliers, du béton, mais son petit menton pointant vers la première marche, des roses blanches la saluent, à droite les mêmes mais rouges l’attrapent par la manche et lui font esquisser un sourire puis les asters mauves et jaunes, et la glycine immense avec son gros tronc noueux, et une vigne, un jasmin lui picote les narines tandis que les clochettes de la bignone s’agitent à toute vitesse pour la saluer, son sourire gagne tout le visage, un chat se roule au bas d’une butte odorante, exceptée le persil qu’elle connaît, toutes sortes d'autres herbes se faufilent jusqu’à atteindre toutes les neurones de son cerveau et toutes les fibres de ses nerfs, mais ce n’en est pas fini, à droite un gros arbre, mais oui, ce sont des cerises, ses fruits préférés et puis… et puis d’autres escaliers que borde un camélia rouge et une spirée odorante, elle se baisse, sollicitée de toute part et porte quelques petits fruits rouge à ses lèvres : des fraises des bois, plus loin, en haut un banc lui tend les bras, elle n’ira pas encore, pas tout de suite, pas si vite, il y a encore tant à voir, à respirer, à humer, à se régaler.
Chloé ne sait pas où donner des yeux, des oreilles, tant et tant de choses, de petits êtres câlins et doux qui la frôlent et l’ont déjà adoptée.
Elle va rentrer dans la cuisine inondée de soleil, ses parents lui ont montré des plans, des photos, mais ils ont omis de lui parler d’une pièce qui se niche derrière une cloison. Mais peut-être eux-mêmes ne savaient-ils pas.
Et pourtant cette pièce est importante, peut-être même est-ce l’élément central de la maison.
Chloé ne sait pas encore quels trésors cette pièce toute mansardée va distiller peu à peu pour elle.
Un cadeau qu’elle va déguster jour après jour, les murs vont lui chuchoter des mots du cœur, qui viendront encore et toujours à la rescousse, qui lui permettront d’adopter son nouveau lieu de vie, qui lui permettront d’oublier le balcon exigu et les voisins du dessus, et de garder dans son cœur la petite voisine aux secrets partagés.
Chloé frôle la cloison, redescend les marches quand elle voit juchée sur une étagère qu’elle n’avait pas remarqué jusque là, un drôle d’animal. Elle s’approche. Mais oui, c’est bien d’une poule qu’il s’agit ! Et tricotée ! Elle n’en croit pas ses yeux ! La poule est habillée de violet et d’orange, froufroutante à souhait comme pour aller au bal. Elle attend qu’on l’invite, tire sur sa jupe à volants, esquisse un pas de deux et regarde dédaigneusement cette petite chose qui tend les bras pour l’atteindre.
Chloé attrape la poule tricotée, mais celle-ci se métamorphose en dizaine dizaine de poulettes, verdoyantes, feuillues, en chocolat et en faïence, en sucre et en lampions multicolores. Chloé n’en revient pas et ouvre son large sourire sur une certitude. Oui. Maintenant elle sait. Elle sera bien dans cette nouvelle maison aux allées sans fin, au jardin sans fond ni barrière. Elle sait et n’a plus peur.
L’histoire de Chloé est révélatrice du lien qui unis la poésie et l’enfance, aux aguets, saisie par un grand vide, elle s’accroche, elle se laisse pénétrer par les émanations du lieu, elle s’agrippe aux choses qui l’interpellent, le chat, les fleurs, la poule, les poules ; c’est ce que m’a raconté la maison que nous allons laisser, à d’autres (appelons les… Chloé).