vendredi 25 octobre 2024

L'œil et la source



Les visions se lient

et on lit les visions comme si quelque chose appelait, insistait derrière la vitre ou la paroi de l'esprit.

Un rien se faufile dans l'image, se glisse dans la matière de l'espace. Cela s'échappe, tranche dans le visible

détoure ce qui fera empreinte.

 


 

Mais tout est flou, incertain, tentant de se détacher d'un entre-deux du réel.

L'échelle de vision est à modifier pour s'approcher du bord du savoir,

basculer dans cet espace lacunaire là où peut-être

une illusion d'optique

une géologie de métamorphoses

une pensée qui repousse toute certitude dans le caniveau.


                                                        


Un roitelet à triple bandeau est venu toquer à la vitre.

Regulus ignicapilla de son nom savant. Si petit, si léger. Il me gratifie de son chant, d'une suite rapide de notes aigües.

Il reste un long moment à tourbillonner entre arbres, buisson de roses et margelle de la fenêtre.

À nasiller, à babiller, à chevroter, à jaboter, à bafouiller, à chuchoter, à balbutier, à parler.

 

                                                       
 

En suspension sur les lèvres, des mots flous se murmurent dont on ne saisit que l'urgence qu'ils ont à se libérer.

Ils passent au travers d'une coupe du visible.

Comme si dans un rêve

ou dans l'instant ultime, infime,

où tout bascule de la vie à la mort.


                                                     

 

En hébreu le mot ayin, qui est aussi la lettre ci-dessus, la seizième de l'alphabet hébraïque, désigne à la fois l'œil et la source

comme si, à chaque fois que la paupière en se levant libérait la vision de l'œil,

le monde se recréait

et mettait en lumière ce qui était obscur.

 

 

 



jeudi 24 octobre 2024

Images et fragments

 


 Une reprise tardive cette année pour l'atelier d'écriture! Mais nous voilà sur le pont pour nous lancer dans un nouveau chantier d'écriture. On ne sait pas trop où on va mais on va tenter d'y aller ensemble!

Avant tout, j'avais proposé d'écouter un podcast réalisé par Marie Richeux dans l'émission Par les temps qui courent datant de mai 2023 où Georges Didi-Huberman parlait de son travail et de l'exposition réalisée à l'IMEC durant l'année 2023 Penser les images .:

On regarde souvent avec des mots. Un mot ne pense pas, une image ne pense pas. Par contre si on met trois images à côté dans un certain ordre, on a l'esquisse d'une pensée. De même avec les mots, c'est la phrase qui pense.

J'ai proposé également de regarder la vidéo de la librairie Mollat du 30 juin 2023 où Georges Didi-Huberman explique le travail de l'exposition, et comment penser par les images.

Tout cela, c'est la petite étincelle qui va initier notre propre travail d'écriture et va donner l'orientation de notre recherche.

Pour le premier atelier, j'ai proposé en ouverture un texte de Georges Didi-Huberman, les premiers paragraphes de son livre Atlas ou le gai savoir inquiet simplement pour tenter de voir un peu quelle pourrait être notre direction lors du travail de l'année.

Forme visuelle du savoir ou forme savante du voir, l’atlas bouleverse tous ces cadres d’intelligibilité. Il introduit une impureté fondamentale – mais aussi une exubérance, une remarquable fécondité  – que ces modèles avaient été conçus pour conjurer. Contre toute pureté épistémique, l’atlas introduit dans le savoir la dimension sensible, le divers, le caractère lacunaire de chaque image. Contre toute pureté esthétique, il introduit le multiple, le divers, l’hybridité de tout montage.

Ensuite chacun ayant apporté trois photos ( peinture, découpage dans un magazine, photo personnelle ou non...) a écrit en écho aux trois documents choisis, en tentant de tisser un lien d'écriture. On n'est pas vraiment dans une description mais plus dans la naissance d'une pensée qui se met à jour en ayant choisi ces trois photos. Il est possible ( et même souhaitable) de se donner d'autres contraintes pour l'écriture ( libre à chacun de se les choisir). Ces contraintes d'écriture pourraient naître, et s'imposer après ce premier exercice ou le suivant.

On va travailler au moins trois séances ainsi, chaque fois à partir de trois nouvelles photos , voir comment la forme d'un texte se crée. On peut bien sûr avoir déjà dans un coin de la tête un thème ou une idée-force qui relie les photos choisies que l'on a envie d'explorer, ou se laisser porter par les trois premières séances et voir ce qui émerge.

dimanche 13 octobre 2024

1/V1 Regarder être regardé 1/


V1 

Regards éclipses lunettes

Regards interrogation

qu'en dites-vous voyeurs ?

ma vie pendant les anges

la musique et les fleurs

regarder au-delà

interroger le spectateur

 

j'ai découpé l'image j'ai viré le Jésus

Dehors cueillir faire des colliers de fleurs

Regarder le ciel avec des millions d'autres au même moment

Je les regarde me regarder

Son regard de déshabillée souriante

franc sourire

et son regard à lui,  gêné

Une autre presque hors cadre, coupée , cueille aussi des fleurs

pour faire style que tout est normal

de dos par rapport à nous

nous offrant sa croupe

 

(cartel au musée du puy, les ramasseurs de patates)

(expliquer aux enfants comment il faut regarder, ce qu'il faut voir - deux images supplémentaires)

 

plus la main d'un autre homme, comme un pouce levé, un like de facebook

alors que là-bas, l'image y serait sans doute censurée

 

à travers nos lunettes nous regardons l'éclipse solaire du 11 août 1999

la lune qui passe devant le soleil, l'éclipse donc

dans ce jardin près d'Avignon, pas trop fini

Je me souviens précisément de la lumière sombre lorsque le phénomène commence à se produire

je me souviens du silence effrayé des bêtes

F. n'a pas de lunettes, il ne regarde pas la lune éclipser le soleil

il regarde C

Les anges baissent les yeux,

perdus dans leurs pensées

cueillant des fleurs, jouant de la musique

douceur chromo de ces bambins blonds

qui égayaient la chambre de mes parents

Maintenant ce bout dans la mienne, un peu caché

l'un des chérubins, hors cadre, pensif et mélancolique a longtemps habité mon portefeuilles

 

La femme nue regarde le peintre

pourquoi se retrouve t-elle en couverture d'un livre sur l'amour et l'histoire de France ?

Ce qu'on appelle l'amour...

ma préoccupation du moment 

et je constate en lisant différents écrits qu'amour et sexe, amour et reproduction, y compris chez les mammifères selon par exemple Rémy de Gourmont, se confondent souvent

alors qu'au Moyen âge amour et amitié se confondaient sans qu'il y ait forcément sexualité

va comprendre

Donc un déjeuner sur l'herbe peint par homme

une femme nue au milieu d'eux, 

qui va la déguster ?

qui dégustera-t-elle de son regard gourmand ?

Les images nous regardent les regarder

autant que nous les regardons nous regarder

l'objectif !

pour le Déjeuner sur l'herbe c'est flagrant

pour l'Eclipse elle me renvoie à cet événement à lunettes unique dans une vie

et toutes ces lignes dans cette image, tous ces courbes, tous ces regards

je suis sur la photo, je porte une robe tricotée par ma mère

qui me valut bien des regards

le léger froid soudain du moment de l'éclipse m'a fait enfiler un pull de coton rose perle, tricoté par ma sœur, en ce 11 août dans une banlieue d'Avignon

un jour où si l'on veut voir il faut se protéger les yeux

voir ce qui assombrit, obscurcit

et fait silence

voyeurs aussi à regarder cette lune qui couvre le soleil, est-ce que ça nous regarde ?

Ne vaudrait-il pas mieux, comme F regarder celle qui regarde et constater le changement de lumière sur la peau des bras dorés de C ?

En recherchant l'image et en tapant différents mots-clés dans le moteur de recherche chromo chérubins, j'arrive enfin à l'image d'origine et ô scandale de la mémoire sélective et du découpage intempestif, ce n'était pas un Jésus mais une Vierge Marie que j'ai censurée, une vierge Marie avec son Jésus enfant sur ses genoux et un petit mouton près d'eux

la mémoire fait ce qu'elle veut des images.