Benoît de Sales, architecte de chair, mais peut-être moins de coeur, affectionnait particulièrement les réduits, les cachettes, les trappes ou autres recoins dissimulés à la vue ordinaire, et néanmoins bien réels, dont il truffait les maisons qu’il avait la chance de faire construire et dont on pouvait découvrir, ou non, l’emplacement: ici sous une dalle du carrelage, là dans une cloison, une autre derrière une plinthe, sous le seuil de la porte d’entrée ou même au fond de l’âtre, et il se réjouissait de la surprise - dont il ne saurait jamais rien - de celui qui dévoilerait cette cachette, qui en extrairait le trésor dissimulé, enfin trésor est un mot un peu pompeux, car il s’agissait d’un simple bout de papier où étaient griffonnées quelques phrases à l’encre rouge, qui, si l’on était un tant soit peu attentif ou perspicace, étaient cohérentes, dotées d’ une certaine fluidité , dignes de ce roman que Benoît de Sales avait entrepris d’écrire et dont il déposait ainsi au fil des jours, des mois, et il faut bien l’avouer des années, des centaines de feuillets dans ces centaines de maisons qu’il construisit tout au long de sa carrière, et, lorsqu’il ressentit une certaine lassitude à bâtir ces édifices tous reliés par ce fil labyrinthique du roman de sa vie , il sentit aussitôt poindre la conclusion de ce livre qui n’avait de réelle existence et que nul ne pourrait lire, car c’est ainsi qu’il envisageait les choses, ne s’étant pas aperçu que son associé, intrigué depuis toujours par la composition et création de ces cachettes, avait dérobé tous ces bouts de papier, les avait numérotés consciencieusement et hormis quelques disparitions infimes qu’il ne pût maitriser ( mais maitrisons-nous tout dans l’écriture ou la lecture d’un roman) réussit à “ tenir” quelques centaines de pages qui furent dévoilées en public lors de la dernière réalisation de l’architecte qui n’était , ni plus ni moins, que le tombeau où on l’enterrait.
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