Mon métier n'était pas un métier d'homme, mon
métier était un métier d'amoureux, j’étais un objet de désir, que dis-je ? De
convoitise ! Et ce n'était qu'au prix d'âpres batailles que l'élue pouvait se transformer
de tigresse-en-froidure en douce chatte ronronnante.
Mon métier n'était pas un métier d'homme, c'était
pourtant un métier de mélancolie. A l'époque de ma conception -et je n'en dirai
pas plus, n'ayant jamais connu mon père- on mettait du cœur à l'ouvrage, et le
moindre objet domestique avait ses décorations, ses volutes, ses angelots, ses
bas-reliefs. Le sens du détail ne s'appelait pas design, mais la moindre fente
était pensée, la moindre poignée chantournée. Avec l'usure plus ou moins
normale d'un usage plus ou moins intensif suivant les plus ou moins rigueurs du
climat, venait le temps des rafistolages, le remplacement à la main de la pièce
défectueuse, pas toujours dans la bonne forme ni dans le bon matériau, mais
l'imprimante 3D n'avait pas encore été imaginée.
De mélancolie et de survie. Quand arrivait
l'hiver avec sa robe de bure (ah non ! je me trompe c'est l'automne) quand
arrivait l'hiver et son grand manteau blanc (l'ai-je bien descendu cette fois
!), les braises chauffées au rouge rejoignaient mon intérieur accueillant, et
les petits petons de se pelotonner sur ma carapace ajourée, tandis que leurs
propriétaires prolongeaient la veillée, agitant frénétiquement mains et langue
pour repousser la nuit ; et les petits enfants de s'asseoir à côté, pour
rejouer sous les jupes de leur mère, comme jadis dans le ventre liquide, la
tendre berceuse des rumeurs du dehors.
Je suis d’un temps révolu ou pas encore devenu. La
mélancolie est contraire aux indicateurs de compétitivité et le développement
durable ne m’a pas encore repérée.
Cependant, à présent, je fais un métier de
patrimoine recyclé. Maintenant que les bouillottes et les coussins chauffants servent
de doudous dans les lits à une place, car les hommes frileux préfèrent garder
leur chaleur pour eux, maintenant que les chauffages centraux et les écrans
plats ont déplacé le centre de gravité des veillées vers la périphérie des
solitudes, mon incandescence hivernale oubliée, je trône au plus fort de l’été,
sur une table de jardin, garnie de lumignons dont les flammes brillottent entre
les fentes ouvragées, repêchée en deuxième noce (noce de rouille si vide-
grenier, noce d’or si antiquaire, les vieilleries ne sont pas toutes logées à
la même enseigne lexicale), replacée au centre des conversations, je renvoie
leur lumière aux humains qui m’ont redonné vie.
1 commentaire:
Fort bien descendu, et sans débarouler. Les étincelles tout au long du texte imagent les escarbilles des braises et les brillottement des lumignons.
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