« Voici donc le
visage humain devenu un pays à explorer, un paysage dont l'apparente
stabilité dissimule quantité de minuscules événements »
Jean-Michel Maulpoix Préface « Henri Michaux »
Ton visage m'étonne à
chaque fois que je le scrute, fixé à jamais sur une photo. Ce n'est
pas par ton visage que je te connais mais les intonations de ta voix
qui me le dévoilent : rieur ou en colère, semonceur, sévère ou
triste.
Ta voix, les phrases que
tu m'adresses, dessinent ton visage plus justement qu'aucune photo ne
sait le faire ; c'est pourquoi justement sur les photos tu n'y es pas.
Enfant, je savais avant
même de me lever, quelle était ton humeur et donc ton visage aux
bruits que tu faisais - casseroles entrechoquées, pas précipités,
portes claquées, ou sons feutrés du pique-feu et de la porte -.
Quand tu me racontais ton
enfance, par la nostalgie et les mots que tu utilisais, je voyais
apparaître le visage de l'enfant que tu avais été et malgré notre différence
d'âge, c'est toi qui devenais l'enfant et moi, la vieille femme
récipiendiaire de tes précieux récits.
Ton visage en négatif
dans ta silhouette, de la tête aux pieds de noir vêtue ; le
portrait de toi accrochée dans la petite chambre, portrait pris le
jour de ton mariage ne me parlait pas de toi. Je n'y croyais pas un
instant : trop figé, peau trop lisse, yeux immobiles. Toute la vie
de ton visage, cette tache blanche qui flottait au-dessu de tes
vêtements, était dans sa mobilité, sa vivacité. Ton visage
miroitait dans ta silhouette
comme apparaîssent furtivement
les yeux du chat dans l'obscurité.
J'aimais ton visage que
pourtant je ne parviens pas à revoir aujourd'hui, je l'aimais mais
ne pense pas l'avoir jamais réellement regardé ; je l'entendais,
devinais, savais, sentais.
Belle ? Décrire tes
traits ? N'a aucun sens. Belle tu l'étais par la vie qui émanait de
toi, la force que tu dégageais et la volonté que tu affirmais.
Ton visage à la fin de
ta vie : champignon désséché, fripé qui se vidait de l'intérieur.
Ton visage mort, tout à coup, détendu. Ce n'était plus toi,
quelqu'un était venu et t'avait remplacée.
Ton visage, constamment
balayé de feux follets ou révélé par les flammes, intériorité à
fleur de peau, peuplé d'ombres violentes, d'aplats, de lueurs
flamboyantes, mouvant, fascinant, métamorphosé à vue, se dessinant
en creux et en relief dans ma mémoire.
1 commentaire:
j'aime beaucoup l'idée de voir un visage en "négatif" comme sur une pellicule avant le développement
sinon tout est beau!
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