samedi 10 janvier 2015

monologue du souffle

il faut que cela s'écarte, que le souffle s'insinue et efface le trop plein de mon esprit, creuse un espace, dénoue les fils entremêlés d'une pensée sans recul, réveille les bleus de l'aube oubliés, caresse les lobes de l'oreille et redonne l'équilibre à mon corps fatigué, rende le frisson à mes yeux devant tout ce qui est donné à voir et à entendre, trace cet arc de lumière entre le dehors et le dedans , me traverse et me remette debout, alors oui je sais où il me faut aller, c'est là , dans ce recoin silencieux du Castello, dans ce coin du recoin , à l'écart de tout ce qu'on croit être Venise, je vais là, je suis là, je marche, je tourne sur moi-même et à chaque pas mon pied effleure les dalles funéraires de nobles vénitiens endormis là depuis des centaines d'années mais cela ne me trouble pas, bien au contraire, car je me sens comme soulevée sur des nuées d'azur, dans une nappe de temps où tout mouvement, même le plus infime, prend de l'ampleur : un brin d'herbe qui s'incline, le frôlement de l'air dans le cou, le feuillage du cyprès qui frémit sous la présence d'un merle près de la statue de Saint-François , la main posée sur le puits, l'intensité des silences même si, dans le hors-champ du cadre où je suis enserrée, se notifie la sirène d'un bateau, puis plus près le battement d'ailes d'une mouette caressant le cloître de son passage, et dans le même instant mon pas qui rythme le jour allant vers sa fin, un pas puis un autre, puis un autre, puis un autre et doucement se glisse en moi la sensation d'être, non d'être dans un lieu précis avec des coordonnées de latitude et longitude, dans ce presque jardin clos de murs, mais d'être au sens fort de ce mot c'est à dire ressentir cette bribe de soi élevée au degré d'une conscience avec le bleu du ciel caressant le campanile, les parois ocre rouge des briques calfeutrant mes pensées et le murmure des mots que l'on voudrait griffonner alors sur la page blanche - sans majuscule ni point - afin de laisser le vide s'infiltrer, frotter à son tour les tombes usées aux inscriptions illisibles, (mais mes propres morts vivent en moi) et révéler ce chant des fissures où la pensée se laisse aller, s'allège jusqu'à devenir une sorte d'adagio puis de plus en plus partition de silences qu'on serre autour de soi comme les plis d'un voile pour se réchauffer un peu, et dans ce tourbillon d'impressions qui submergent , rester dans ce paysage dans cette marge du temps, en suivre les lignes d'horizon, et démontrer peut-être qu'un autre chemin est possible - ce serait un peu comme photographier le secret d'un secret, avec au bout des doigts une focale qui s'élargirait - puis ce temps horizontal ne pouvant durer, s'immiscer dans la volée de cloches et s'éveiller dans un bien-être total au cœur de ce cloître, regarder à nouveau cet entour qui nous est indispensable , voir un enfant dialoguer avec un lézard, entendre le murmure d'une jeune femme à son compagnon qu'est-ce qu'on est bien tu trouves pas, et toujours en un souffle que c'est joli , puis observer ce couple qui pénètre d'un pied , se brûle au silence et repart aussi vite, cet homme à casquette qui vient prendre une photo de la statue de François avec le citronnier à son côté puis disparaît à son tour, et se dire alors que je tourne dans les cloîtres pour tous ceux qui ne savent pas quel trésor est caché là, quelles questions peuvent naître ici, quels    blancs    prennent place en soi avec de plus en plus d'ampleur         et de bonheur        alors je marche    et   même si         çà rime à quoi       se    dit      un peu       le   pas        se     fait        air                des   mots          se posent                     le       temps          poncé         pétille        et       parler       ras        est         sûr

 

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Après le trop plein de ces jours-ci, te lire - même si j'ai retenu mon souffle tout au long de ma lecture- me redonne un peu d'équilibre, m'allège et me rapproche d'un centre, explosé. J'ai pu, peu après la lecture, respirer profondément, un peu apaisée, et peut-être ce jour sera t-il un peu plus léger...