il faut que cela
s'écarte, que le souffle s'insinue et efface le trop plein de mon
esprit, creuse un
espace, dénoue les fils entremêlés d'une pensée sans recul,
réveille les bleus de l'aube oubliés, caresse les lobes de
l'oreille et redonne l'équilibre à mon corps fatigué, rende
le frisson à mes yeux devant
tout ce qui est donné à voir et à entendre, trace cet arc de
lumière entre le dehors et le dedans , me traverse et me remette
debout, alors oui
je sais où il me faut aller,
c'est là , dans ce recoin
silencieux du Castello, dans ce
coin du recoin , à l'écart de tout ce qu'on croit être Venise, je
vais là, je suis là, je
marche, je tourne sur moi-même et à chaque pas mon pied effleure
les
dalles
funéraires
de nobles vénitiens endormis là depuis des centaines d'années mais
cela ne me trouble pas, bien au contraire, car je me sens comme
soulevée sur des nuées d'azur, dans une nappe de temps où tout
mouvement, même le plus infime, prend de l'ampleur : un
brin d'herbe qui s'incline, le frôlement de l'air dans le cou, le
feuillage du cyprès
qui frémit sous la présence
d'un merle près de la statue
de Saint-François , la main
posée sur
le puits, l'intensité des
silences même si, dans le hors-champ du cadre où je suis enserrée,
se notifie la sirène d'un bateau, puis plus près le battement
d'ailes d'une mouette caressant le cloître de son passage, et
dans le même instant mon pas
qui rythme le jour allant vers sa fin, un pas puis un autre, puis
un autre, puis un autre et
doucement se glisse en moi la sensation d'être, non d'être dans un
lieu précis avec des coordonnées de
latitude et longitude, dans ce presque jardin clos de murs, mais
d'être au sens fort de ce mot c'est à dire ressentir cette bribe de
soi élevée au degré d'une conscience avec le bleu du ciel
caressant
le campanile, les parois ocre rouge des briques calfeutrant mes
pensées et le murmure
des mots que l'on voudrait griffonner alors
sur la page blanche - sans majuscule
ni point - afin de laisser le
vide s'infiltrer, frotter à son tour les tombes usées aux
inscriptions illisibles, (mais
mes propres morts vivent
en moi) et révéler ce chant
des fissures où la pensée se laisse aller, s'allège jusqu'à
devenir une sorte d'adagio
puis de plus en plus partition
de silences qu'on
serre autour de soi comme
les plis d'un voile pour se
réchauffer un peu, et dans ce tourbillon d'impressions qui
submergent , rester
dans ce paysage dans cette marge du temps, en suivre les lignes
d'horizon, et démontrer peut-être qu'un autre chemin est possible -
ce serait un peu comme photographier le secret d'un secret, avec au
bout des doigts une focale qui
s'élargirait
- puis ce temps horizontal ne pouvant durer, s'immiscer dans la
volée de cloches et s'éveiller dans un bien-être total au cœur
de ce cloître, regarder à
nouveau cet entour qui nous est indispensable , voir
un enfant dialoguer
avec un lézard, entendre le murmure d'une jeune femme à son
compagnon qu'est-ce qu'on
est bien tu trouves pas, et
toujours en un souffle que
c'est joli ,
puis observer
ce
couple qui
pénètre
d'un pied , se
brûle au silence
et repart aussi vite, cet
homme à casquette qui
vient
prendre une photo de la statue de François avec le citronnier à
son côté
puis disparaît
à
son tour,
et
se dire
alors que je tourne dans les cloîtres pour tous ceux qui ne savent
pas quel trésor est caché là, quelles
questions peuvent naître ici, quels blancs
prennent place en soi avec de plus en plus d'ampleur
et de bonheur alors je marche et
même si çà
rime à quoi
se
dit un peu
le pas se
fait
air des mots se
posent le temps
poncé pétille et
parler ras est sûr
1 commentaire:
Après le trop plein de ces jours-ci, te lire - même si j'ai retenu mon souffle tout au long de ma lecture- me redonne un peu d'équilibre, m'allège et me rapproche d'un centre, explosé. J'ai pu, peu après la lecture, respirer profondément, un peu apaisée, et peut-être ce jour sera t-il un peu plus léger...
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