Le poing fermé, pétrifié dans l'attitude de qui veut laisser partir le coup mais se maîtrise encore assez pour le garder aussi serré que la mâchoire, laissant ainsi saillir les plis tendus d'un visage parcheminé du passé. L'autre main , paume ouverte, est encore pleine d'un tourbillon d'espoirs, où peuvent se déchiffrer des lignes de vie à venir, malgré les dangers qui la menacent, semblables à un regard serein posé loin sur l'horizon. Dans le labyrinthe des visages que Venise offre au plus humble passant , enfin à celui qui sait qu'il ne sait pas grand-chose , on dit que l'on peut en compter plus de mille… alors il faut juste se laisser surprendre et guetter ces flux d'ombre et de lumière qui tour à tour se diffusent sur la peau de la ville .
Elle a le visage
ravagé du plein midi quand elle ne peut plus reprendre souffle,
asphyxiée par les touristes qui piétinent tous le même pavé ,
s'exclament mais ne regardent que les ors d'un maquillage qui tend
peu à peu à couler.
Elle a le visage
plein d'ombre et de mystère de ces églises désertes tapissées de
toiles prestigieuses, de colonnades, de sculptures, de mosaïques,
d'espace où l'intime pourrait enfin s'épandre et cela ferait
presque peur.
Elle a la
frimousse enfantine de ces campi où s'ébattent des enfants à
la sortie des écoles, où des ballons se faufilent entre les jambes
des passants, où des trottinettes zigzaguent entre les traits
d'ombre et de lumière dont seuls des enfants savent s'emparer.
Elle a le visage
émacié presque décharné, d'une décrépitude annoncée lorsque
frôlant des doigts ses murs resserrés , pour une caresse, on les
contemple emplis d'ocre et de poussière : on prend alors
conscience de l'ampleur des morsures.
Elle a ce visage
rayonnant lorsque une explosion de lumière fait flamboyer fenêtres
et façades et que l'eau en un miroir facétieux renvoie toute
cette splendeur en de fulgurantes paillettes et dentelures.
Elle a ce visage
moqueur de qui, se mirant dans une glace déformante constate les
effets d'une vieillesse noble déjà bien installée.
Elle a le visage
de ces grandes vedettes, empli d'artifices, de passion et de fureur
qui la submergent et qui semble figé dans la réalité d'une
jeunesse fanée depuis longtemps.
Elle a le visage
mélancolique d'une chanson égrenée par un gondolier solitaire
enfonçant sa rame dans un rio tout en songeant à une vie
fantasmée.
Elle a le
visage libertin de qui se calfeutre derrière un masque afin de
réaliser ses désirs les plus secrets et se faire passer pour ce
qu'il
n'est pas.
Elle
a le visage entrelacé de
vérités et de mensonges quand le masque se confond avec le visage ,
et
l'on ne peut qu'errer dans ce labyrinthe de rides
d'eaux et
de terre , imaginer
la forêt souterraine soutenant
cette ville qui ne montre qu'une moitié d'elle-même
dans une inébranlable fragilité.
Elle
a le visage brouillé de ces petits matins pleins de brumes où on
n'aperçoit même plus San Michele,
l'île
des morts, mais où l'on
croise les fantômes de quelques uns qui ont marché ici, qui ont
aimé , qui ont écrit, qui ont rêvé, qui ne sont plus mais qui
dans ce brouillard hantent encore la cité.
Elle
a le visage nocturne qui vous frôle d'un souffle, sous les arcades
sombres avec un parfum qui pourrait bien vous perdre , au bord d'un
rio où l'on pourrait
bien glisser, puis soudain sous les réverbères de la place où vous
la reconnaissez et murmurez
amoureusement
son nom.
Elle
a surtout ce visage d'aube
quand, son propre pas perturbant le silence, on assiste aux
élucubrations d'un
ciel qui se mire dans les eaux de la lagune et tout est alors
possible, puisque
le soleil lui donne ce
teint de pêche et que des
rubis, ors, turquoises, émeraudes, saphirs, jaspes brodent l'étoffe
du matin.
2 commentaires:
Plusieurs fois par jour depuis une quinzaine, je viens régulièrement consulter ce blog, pour voir si vous y êtes. Parfois ravie, parfois déçue par l'absence. Ca valait la peine, vraiment, pour découvrir le visage de ce personnage "Venise". Vivement la suite ... demain.
Oh Yès !!
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