Il est là dans son grenier, dans cette nuit du 25 au 26 mai. Le noir, l'encercle, l'étouffe. Et le silence, ce silence qu'il avait tant souhaité l'opresse maintenant. Les effraies qui avaient élu domicile dans sa chambre improvisée, volètent d'un coin à l'autre de la pièce et soulèvent la poussière qui dessine un voile mortuaire au-dessus de sa tête. Il se lève péniblement, va jusqu'à la fenêtre où seule la lumière de quelques étoiles accrochées à la forêt lui signifient la vie. Il pose sa main puis son front sur le carreau glacé. Il sent ses forces l'abandonner, lui chez qui l'espoir n'a jamais failli. Il repense à cette phrase qu'il s'est si souvent répété pendant sa longue marche: "Aurais-je aujourd'hui que je suis devenu adulte, ce courage d'enfant qu'il faut pour se perdre?"
Il se revoit enfant, quand il venait en vacances dans la région, à franchir les ruisseaux, à construire des cabanes dans les bois qu'il découvrait, sourd aux appels de ses parents affolés. Sa Dorette était le Rhin de ses légendes, le bois de Jagonard, son Amazonie.
Mais ce soir, les arbres se sont statufiés, rien ne lui est épargné, aucune ombre, aucune aile diabolique, aucun cri, aucun râle. Il marche dans sa tête. Ses pas tanguent, s'entrechoquent à la recherche de la vérité. La rivière coule écarlate charriant les corps et l'éclaboussant de tous les morts en putréfaction. Dans son errance solitaire, dans sa danse macabre de l'âme qui hésite sur les bords du Styx, il ne veut pas se retourner.
L'heure avance, l'heure est maintenant brouillard sans lune, elle est silhouette crochue des arbres, elle est jeteuse de sorts à son corps fatigué de voyageur, obligé de larguer ses bagages, obligé de larguer cette guerre dont il ne voudrait rien savoir. Ses souvenirs se multiplient, s'embrouillent et chavirent.
Ses doigts glissent le long de la vitre, ils suivent la coulure de la buée qui va s'écraser contre le montant de la fenêtre. Les paysages qu'il dessine sur le carreau sont autant de cimetières. Son courage d'enfant lui fait défaut. Maintenant, il ferme les yeux. Il avance sur un chemin crevé d'ornières, des croix branlantes le bordent. Au loin des fumées. Un village qui brûle? Ce n'est pas Malvières? Ce n'est pas Connangles? Il ouvre les yeux. Le froid de l'espagnolette et du bois vermoulu délimite son territoire. Un territoire déchiré, écartelé et qui se meurt dans "la lente indifférence du monde"
2 commentaires:
Coquine, tu m'avais bien dit que tu le replacerait ! Bravo en tout cas
c'est super bien, Linette de nous !
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