Une journée de cendres
Une journée comme la nuit
On a tiré on a brûlé on s'est
caché, on a fait silence.
Couru en tous sens pour
préserver le souffle des bêtes affolées, piétiné les tendres herbes qui
reprenaient seulement vie, fauchées dans leur prime jeunesse comme on l'aurait
dit de ces jeunes hommes chair à canon, là-bas sur le front de l'autre guerre
et de bien d'autres, "plus jamais ça !" ce serait mal nous connaître, mal nous
envisager.
Les deux se sont faites
ombres, devenant passe murailles, pierres aux lichens roux et verts gris, les
deux se sont tenu les mains, le cou -lorsqu'il y avait un répit- de se savoir
encore vivantes, ont oublié qu'elles avaient soif, que leurs visages aussi
étaient fuligineux, que la terreur s'étendait à grands coups de cris et de
haine.
Tout à coup, une cavalcade, elles tombent dans un
trou, ensemble.
Reprennent leurs esprits, se
tâtent les cotes, se pincent, vérifient que leur peau ressent toujours leurs
pinçons, se mettent debout. Le bout de leurs doigts picote, presque comme une
brûlure.
Leurs yeux ne percutent que
du noir, que du noir,
Pas le même qu'à la surface,
plus épais, sans contour.
Peu à peu s'habituent, peu à
peu se distinguent l'une l'autre, peu à peu voient le ciel opaque d'où elles
viennent, mettent un pied devant l'autre, bras tendus dans le tunnel.
Précautions.
Deux valent mieux qu'une.
Perçoivent des piétinement en
surface, et toujours des cris et des tirs.
Ont peur, mais se sentent à
l'abri, sous la terre.
Avancent dans le tunnel,
hument l'humus, cognent leurs gros souliers sur des cailloux innocents,
reçoivent une goutte d'eau tombée du plafond bas, chuchotent en ne
reconnaissant plus le son de leurs voix, matifié par un drôle de vide calcaire
qui n'absorbe rien.
-où sommes-nous ?
-dans le souterrain sous le
château,
-vous en aviez connaissance ?
-oui, mais c'était il y a
longtemps, j'avais oublié
-vous croyez qu'ils le
connaissent, eux ?
-ils ne sont pas d'ici, ils
ne connaissent rien à rien,
-comment vous le saviez ?
...
-quand j'étais jeune fille
...
-que je devais traverser les
bois, quand je revenais du travail au château et que je savais que dans le bois,
on pouvait avoir peur, je ne savais pas encore ...
...
-c'est long ?
-oui, un peu, ça débouche au
bord du petit lac, près de l'auberge. pas très long mais ça semble
-l'auberge a été incendiée,
avant-hier, il doit y en avoir là-bas
-oui sans doute. on va devoir
rester dans le boyau
Mère et fille continuent d'avancer à tâtons, comme
dans un sommeil paradoxal, vers ce qui voudrait être la sortie,
Repères si maigres qui nient
la réalité. Faible lueur loin très loin, faibles échos du monde d'en dessus.
Bestioles qui filent entre
les jambes, ruissellement, les idées dans la tête ne servent plus, marchent
depuis quand ? ventre creux, pieds blessés, fatigue comme vieilles de 100 ans,
et pourtant apaisées, loin du fracas.
à la surface on est le 7 juin,
ici, on ne sait pas.
3 commentaires:
Très beau texte, et dans un style tout à fait nouveau, je n'ai pas reconnu l'auteur. Tu n'as pas fait du Marie-Pierre, bravo !
Merci, Ange-Gabrielle ; Oui mes moi sont plusieurs !
Tout simplement très beau.
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