Pour tirer la piquette
qu'ils appellent « vin », chercher les carottes pendant
l'hiver, il lui faut sortir de la maison, la longer, passer sous la
grange, marcher jusqu'au fond vers le pressoir, là où aucune
ampoule n'a jamais été installée, soulever la lourde barre de bois
qui maintient la porte fermée et entrer dans LA cave. Suivant la
pente légère, il descend sur un sol glissant, huileux, longe une
rangée de tonneaux sur sa droite posés sur des tréteaux, frôlé
par de grasses toiles d'araignée. Le pire est quand il lui faut
plonger sa main dans la saumure du grand pot en grès, là où ont
été déposés les oeufs afin qu'ils se conservent quand les poules
cessent de pondre. Parfois, la mère le laisse emporter une vieille
bougie que la simple traversée de la cour et de la grange, une fois
sur deux, mouche, avant même d'atteindre la cave. Elle prétend
qu'il n'est qu'une poule mouillée, et mouillé parfois il rentre,
tant il est terrifié. Les murs
suintent, des taches dégoulinantes apparaissent ca et là,
grimaçantes dans le noir desquelles émergent une tête, portrait
craché de l'oncle que tous peuvent voir sur la grande photo au mur
de la petite chambre, celui avec les médailles de guerre qui
terrorise particulièrement le garçonnet. Il lui faut avancer dans
cette noirceur, marcher dans cette espèce de couloir fuligineux
entre sol et plafond où il doit s'engouffrer. Des vapeurs
mordicantes lui montent du ventre au cerveau et le paralysent. La
suie qu'il doit respirer dans cette atmosphère noirâtre obscurcit
toutes ses pensées. Parvenu au tonneau, il tremble de tous ses
membres avant d'oser tourner le robinet pour tirer le vin, terrifié
par ce qui va en sortir. Un jour, ce fut un vacarme infernal, mille
violons se déchainèrent, un autre jour la bonde sur le dessus gicla
et des fleurs n'en finirent plus de jaillir pour retomber sur le sol
gluant et disparaître aussitôt. Quand vient le moment de prendre
délicatement les oeufs dans la saumure, l'eau salée lui cisaille
littéralement la main, un jour c'est un poussin éclos, plumes
collées qu'il sortit en hurlant. Enfin, quand il a fini de se servir
de vin, d'oeufs, de carottes, de tout ce qu'on lui a commandé de
rapporter, en remontant le long couloir noir, les voix à l'intérieur
des murs, dans son dos, se mettent à gronder, rire et se moquer. Il
jour, il n'en sortira pas vivant.
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