dimanche 17 février 2019

La cave de Pisieu

Pour tirer la piquette qu'ils appellent « vin », chercher les carottes pendant l'hiver, il lui faut sortir de la maison, la longer, passer sous la grange, marcher jusqu'au fond vers le pressoir, là où aucune ampoule n'a jamais été installée, soulever la lourde barre de bois qui maintient la porte fermée et entrer dans LA cave. Suivant la pente légère, il descend sur un sol glissant, huileux, longe une rangée de tonneaux sur sa droite posés sur des tréteaux, frôlé par de grasses toiles d'araignée. Le pire est quand il lui faut plonger sa main dans la saumure du grand pot en grès, là où ont été déposés les oeufs afin qu'ils se conservent quand les poules cessent de pondre. Parfois, la mère le laisse emporter une vieille bougie que la simple traversée de la cour et de la grange, une fois sur deux, mouche, avant même d'atteindre la cave. Elle prétend qu'il n'est qu'une poule mouillée, et mouillé parfois il rentre, tant il est terrifié. Les murs suintent, des taches dégoulinantes apparaissent ca et là, grimaçantes dans le noir desquelles émergent une tête, portrait craché de l'oncle que tous peuvent voir sur la grande photo au mur de la petite chambre, celui avec les médailles de guerre qui terrorise particulièrement le garçonnet. Il lui faut avancer dans cette noirceur, marcher dans cette espèce de couloir fuligineux entre sol et plafond où il doit s'engouffrer. Des vapeurs mordicantes lui montent du ventre au cerveau et le paralysent. La suie qu'il doit respirer dans cette atmosphère noirâtre obscurcit toutes ses pensées. Parvenu au tonneau, il tremble de tous ses membres avant d'oser tourner le robinet pour tirer le vin, terrifié par ce qui va en sortir. Un jour, ce fut un vacarme infernal, mille violons se déchainèrent, un autre jour la bonde sur le dessus gicla et des fleurs n'en finirent plus de jaillir pour retomber sur le sol gluant et disparaître aussitôt. Quand vient le moment de prendre délicatement les oeufs dans la saumure, l'eau salée lui cisaille littéralement la main, un jour c'est un poussin éclos, plumes collées qu'il sortit en hurlant. Enfin, quand il a fini de se servir de vin, d'oeufs, de carottes, de tout ce qu'on lui a commandé de rapporter, en remontant le long couloir noir, les voix à l'intérieur des murs, dans son dos, se mettent à gronder, rire et se moquer. Il jour, il n'en sortira pas vivant.

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