lundi 23 juin 2025

 CHERCHER - VOIR où  TROUVER  ( IV- bis)

 Le moucharabieh de la peur
sur fond de mur de pierres
petits carrés-mouchoirs
voilage de l'indifférence
de la liberté emmurée
mot pernicieux déchiré refoulé
mot enterré dans la profondeur d'un
couloir
aux cris lugubres de l'oubli
des idéaux meurtris sous les pieds
lacérés des pertes ajoutées
froid tremblement lumière sourde
aux cris mouroirs
aux cris miroirs
d'un échappement impossible
seul le labyrinthe des jours 
vide de l'enfermement
du retour impossible
tourner tourner tourner
ne pas sombrer 
être le derviche de son ombre
d'une autre vie imaginée

 

11/V1 Tenter de s'annuler soi-même et ne pas y parvenir

 

 

 

 

 

 

 


 


 Bien sûr je connaissais la pipe qui n'en était pas une, la pomme que personne ne pouvait croquer même pas Ève en rêve

Lors d'une exposition à paris, ça avait été une révélation : les titres des œuvres de Magritte font la moitié du travail ils interprètent au-delà de l'image, révèlent le mystère. Mon tableau préféré c'était Le Thérapeute. La silhouette d'un homme vêtu d'une cape-voile avec à la place de la tête et du tronc une cage dont la porte est ouverte, avec l'une des colombes déjà dehors, comme quand on fait une photo, le petit oiseau peut sortir. Figer l'instant de la révélation comme la photo de Harold (voir texte 3)

La parole plus que l'idée veut surgir, l'image révèle.

L'autre colombe est encore dans la cage, l'autre parole, hésite encore. Peut-être qu'elle n'est pas prête à se libérer.

Dans le film le Peuple Migrateur, vu récemment au cinéma, la liberté conquise fait hésiter aussi le bel ara, qui avec sa patte, a tourné la tourniquette et ouvert la porte de sa cage, où avec d'autres animaux, ils sont prisonniers, entassés dans une pirogue. Au moment de retourner dans sa forêt, il n'en croit pas ses yeux, il hésite un court instant puis s'envole.

Je suis dans le bleus de ces images, comme les oiseaux, à quelques milliers de mille ou de pieds ou d'ailes, nous survolons les Alpes, dans ce gros volatile vrombissant. OIseaux migrateurs, nous allons voir la Baltique, goûter la lumière de la Neva. Il y a 18 ans exactement. à Saint-Petersbourg, à cette époque de l'année, ce sont les NUITS BLANCHES.

Pendant 13 ans dans sa cellule obscure, Carlos Liscano écrit dans sa tête, les nuits blanches et les jours noirs, rien ne s'oppose à la nuit, rien ne la distingue du jour non plus. Il écrit l'histoire du corbeau blanc, une histoire qui a pour point de départ une nouvelle de Tolstoï. Un corbeau noir se peint en blanc pour ressembler à un pigeon, qui est une espèce selon lui qui a plus de facilité pour se nourrir, qui est mieux accueillie.

« Nous sommes comme dans une cave et il n’y a même pas de soupirail » (Magritte)

Sa tête est un nuage qui s'agrège de mots et les fait plus tard retomber en pluie

Le nuage traverse la porte de la prison

Le nuage se cogne aux montagnes

Le nuage traverse la mer.

Le corbeau blanc revenu chez les corbeaux noirs n'y a plus sa place.

"On ne percevait plus que la rumeur de la fuite"

Les corbeaux, comme les nuages aiment cette vie errante et parfois, pour se reposer inventent des histoires ou se transforment en buée.

( 4 juin 2025)


vendredi 13 juin 2025

l'œil et la source /11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

dans l’entre-deux des lèvres se décline la langue



la parole parabole résonne entre deux rives

le mot hébreu safa a le triple sens

de lèvre de langue et de rive

alors voguent les mots

d’une lèvre à l’autre

d’une rive vers l’autre

d’une langue à l’autre





entre les montagnes une vallée à traverser

dans la co-errance d’un crabe

d’une image en métaphore et en naissance d’images

on chemine pour traduire une lance à la main

on trébuche parfois

on lutte avec le contre-sens

sous un regard protecteur 

 



traduire vient du latin traducere

trans :à travers, ducere : conduire, mener

cela veut donc dire faire passer, faire traverser

d’une langue à une autre porter vers un au-delà du vouloir dire

ne pas cesser de vivifier

la résonance d’un dire





rendre compte du chaos du discours

extraire les pépites du dessous des mots, leurs ailes de lumière

qui parsèment les pages du livre

mais aussi les aléas de la perte au gré du passage

lors de la fuite de mots

et traduire c’est aussi trahir on le sait





comme sur le tronc de l’arbre les écorces s’ajustent se grisent ou se colorent

la traduction effectue une traversée, tangue du point de départ à l’arrivée

s’essaie à un tableau impressionniste entre rythme, sens, transmission et réincarnation, à une polyphonie sur la peau de la page

comme sur les tableaux il faut combler les lacunes et recoller les écailles qui se sont mises à jour



les doigts bien serrés sur la corde des mots assister à une métamorphose

 


vendredi 6 juin 2025

L'œil et la source / 4bis/ Insaisissable


 

Sur la pierre de granite, la tache de lichen saxicole est immobile depuis des millénaires. D’autres sont là, plus loin, et recouvrent le rocher de plaques grisâtres, denses de ces petites particules qui constituent le lichen. Cet être vivant, souvent caractérisé de lépreux ou pustuleux, d’eczéma de l’arbre ou de la pierre, n’est pour moi, comme les taches et les nuages, rien d’autre qu’un projecteur de songes. Le lichen fait image. Il me propose ses hiéroglyphes à décrypter. Ma vie ressemblerait-elle à un jour de lichen* où je tenterais de déchiffrer ce que va être la matière du temps, ou à réfléchir sur ce qui fait s’irradier l’imaginaire, ce qui donne image à voir et à méditer. La broderie des lichens inciterait à voir outre le visible. De cette tapisserie sur pierre aux gravures sur roches dans les grottes préhistoriques, il n’y a qu’un fil à saisir et à se laisser happer par les dessins qu’il reste à interpréter, à replacer dans le contexte de l’histoire, ou à admirer tout simplement. Sur la peau des pierres, tout un monde pour laisser libre cours aux songes et aux transfigurations que l’on peut imaginer, créer, recréer. Les images, les photographies sont des porteuses d’histoires, révélatrices d’un en-dedans que la trajectoire de l’œil a pu détacher et provoquer ainsi une rencontre, une pensée. Cette scène du puits de Lascaux, une source pour apprendre à lire, relire, relier les temps, et prolonger les sources à l’infini. Quelque chose surgit, qui vient dialoguer avec un présent, au-delà de la disparition d’un monde. D’autres temps, d’autres réalités, mais des impressions, des imaginaires qui se côtoient, se croisent, des dérives qui s’épousent. Pourquoi faire image, si ce n’est pour aller vers l’au-delà d’un réel, faire émerger des questions, déplacer le regard, pousser la pensée sur des territoires inconnus, faire du geste de photographier un phrasé d’imaginaire. S’immiscer dans ce chaos d’images perdues, ou de souvenirs qui s’emmêlent, images diffractées d’une réalité dont on n’a plus de certitude. On tentera de reconstruire ce qui a été déconstruit par les années, de se reconstituer un paysage mental, désaliéné de ses entraves. Autour de chaque image, particulièrement lorsqu’on est auteur et acteur de la photographie, il y a une sphère émotionnelle où poser sa peau, frotter son épiderme aux visions cachées, à ses archives intérieures qui surgissent, se révèlent dans une vitalité insoupçonnée. Saisir un élan dans ce tremblement qui palpite, une ouverture vers le fragile, l’insaisissable, vers cette étincelle qui a permis au regard de s’accrocher, l’espace d’un instant.

 

 On peut retrouver la version 1 ici

lundi 2 juin 2025

10 Des images à y regarder à deux fois

 

 

 

 

 

 


 

 D'un monde à l'autre

à lire l'écrivain voyageur comme si on y était

"Je suis follement visuel"

embarqués sous sa plume et son œil d'oiseau migrateur

De ces voyages immobiles

à tourner les pages comme on battrait des ailes

De ces livres-cadeaux tant aimés

qui font de nous des "récits""piendaires"*

qui à notre tour les offrons

et nous rassemblent dans une sorte de confraternité du plaisir


De ce qui est caché

De ce qui reste dans la marge

de ce qui semble être mais est bien plus que ça

Des images à y regarder à deux fois

 

Et l'arbre déploie ses ramures à perte de vue

l'œil se perd dans les bibliothèques

s'habitue aux tranches sur les rayonnages

ne comprend plus

à perte de sens dans un pays inconnu un paysage 

sage à première vue

l'œil se sent usurpé

ce ne sont pas des livres

ce ne sont pas des manuels de survie

ni des atlas ni des cartes

ce sont des données plus ou moins alimentaires

pas forcément nourrissantes


Quel en est le classement ?

pourquoi tant de hauteur perdue sous plafond ?

 

Sous les branches domptées à chaque nœud de l'arbre

une promesse de fruit

un ancêtre

un paquet de café

le gros lot

 

l'œil regarde accommode éprouve l'inconnu

Puis s'accommode du rouge érodé des briques

de la géométrie inhumaine de l'entrepôt

du menu proposé

"Faites rêver vos invités dès la première bouchée"


*récits-piendaires : merci au lapsus d'oreilles de Solange