jeudi 27 janvier 2011

dernière photo

Dernière photo Ce matin là, en se levant, elle avait pensé :je ne suis pas bien dans mon assiette , cette phrase banale s'était figée dans son esprit et résonnait comme une menace .Cette expression ,prise au pied de la lettre envahit ses pensées;elle voyait l'assiette en arcopal blanc de son enfance,posée sur la toile cirée de la table de la cuisine et au milieu le reflet flou de son visage de petite fille triste. Dans la salle de bains,assise sur un coin du tabouret, elle avait eu toutes les peines du monde à colorer de rouge ses ongles ;le vernis refusait d'adhérer,se rétractait en minuscules boules et s'effaçait inexorablement. Cela ne lui était jamais arrivé et elle ressentit cette angoisse qui accompagne les premières fois, les premiers symptômes,les premiers dérèglements. Au bout d'un moment, elle renonça et sortit avec l'impression d'un manque, d'une nudité honteuse qui se heurtaient à la violente effervescence de la ville. Elle sentait sur ses mains une sorte de vulnérabilité. Dans la rue, elle enfonça immédiatement les mains,poings serrés au fond des poches de son manteau. Elle croyait deviner dans chaque regard des passants qu'elle croisait , une interrogation agressive ou pire un reproche teinté de mépris. Tous les yeux semblaient se poser sur ce qu'elle s'obstinait à cacher. Elle grimpa dans le premier bus sans un regard pour sa destination, les mains toujours dissimulées au regard des gens,ne composta pas son billet et alla s'appuyer contre la vitre. Elle regardait sans vraiment le voir le paysage urbain noyé de brumes matinales, éclairé ça et là par les derniers feux des réverbères. Elle décida de ne plus jamais montrer ses mains , elle les trouvait obscènes ,elles avaient perdu leur humanité sans le vernis protecteur. Tout à coup, le bus freina ;son voisin vint heurter brutalement son épaule et pour ne pas tomber,elle dut sortir précipitamment sa main gauche de sa poche pour se tenir à la barre. C'est alors, qu'elle découvrit que sa main avait perdu toute apparence humaine;la chair semblait s'être resserrée autour des os,la peau s'était durcie en écailles et les ongles glabres recroquevillés comme les ergots d'un poulet. Elle sentit monter à ses lèvres, une violente nausée et une image lui vint alors à l'esprit:elle était en train de vivre ce que Frantz Kafka avait raconté dans la métamorphose,elle se transformait. Les voyageurs ne remarquaient rien leurs yeux vides fixés dans le vague .Un coup de frein plus brutal que les autres la fit s'agripper de toutes ses forces. Le poignet se déchira et l'étrange main tomba sur le sol. Elle la ramassa précipitamment et la mit dans sa poche,personne n'avait rien remarqué autour d'elle.

1 commentaire:

Lin a dit…

cinématographique, graphique, superbe ! (tu entres, je crois, aussi, dans la psyco de quelques adolescentes, enfin ça m'y fait penser, va savoir pourquoi charles, mais j'y vois les pulsations de gamines se prenant la tête dans leurs ongles, enfonçant leurs ongles dans la peau des avant-bras)