samedi 2 avril 2022

La pie de Monet

Lumière dedans posée sur son buvard de brume

caché dans le tableau sur le mur du docteur

fantôme de mon frère au fond du paysage

un dimanche d'enfance à la doublure grise

l'image qui flamboie dans le soleil d'hiver

dans la rue tout au fond à l'orée des malaises

son corps est une terre, son sang bout en douceur.

il piétine la neige en criant de bonheur

 

le portillon de bois entrouvert de guingois

laisse passer le flot de lumière encadré

aucun pas dans la neige la marque n'est pas là

 

la pie qui se repose, trois heures quatorze fois

seul élément vibrant dans ce décor de soie

la pie qui se demande où trouver quelques graines

des micro-mammifères, des insectes sournois

mon œil mal interprète midi à quatorze heures

brouillard bien à l'abri

composition parfaite

quelques toits, quelques troncs,

maisons endimanchées de lumières violettes 

après-midi qui sait comment le crépuscule

quand on n'a pas le coeur à faire du soleil

et qu'on voit une pie faire beau dans le décor

et qu'on voudrait que loin de ce badigeon tendre,

comme certains oiseaux se cacher pour mourir

 

ce qu'il y a dans les yeux de celle qui regarde

un souvenir captif, une mise en abyme

Un fantôme sans chaînes

des arbres ensommeillés

nous n'atteindrons jamais cette fonte des neiges

et ces brouillards givrants au dessus de nos yeux

nous resterons tapis à regarder la pie

attendre que l'enfance fonde en métamorphoses

et qu'on glisse dessus comme un verglas sanglant

que la lumière inonde éclabousse éblouisse

que finisse l'angoisse, que commence la joie !

 

5 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Très beau texte et tu sais la joie, elle est là ; là, Marie-Pierre, comme dans cette phrase à propos de C Bailly : « C’est une grande et violente chasse aux fantômes qu’engage Bailly à chaque phrase, à chaque instant pour tenter de se saisir non pas ce qui échappe mais ce qui est là, terriblement là mais dont seuls les yeux spectraux perçoivent l’écoulement». Ce que nous pensons devoir aller chercher dans un lieu ou une pratique, se trouve en fait là où nous sommes déjà. Il est caché à la vue de tous.

MarieBipe REDON a dit…

En lisant le texte envoyé par Solange, j'ai été subjuguée car c'était exactement cela que je ressentais. Et aussi, les fantômes sans chaînes (s'enchaînent) c'est nous qui les leur mettons. c'est aussi ce que je veux dire à la fin, le fait de regarder un tableau, de l'image aux yeux puis au cerveau, puis le tableau que l'on perce comme on ouvrirait une fenêtre. Bien sûr que la joie est au fond de nous, je ne l'invoque pas comme une incantation, c'est l'écriture (une pratique aussi) qui la fait affleurer, tant il est vrai que l'écriture sur les tableaux grâce à S. et ensemble, m'en procure.

Linette a dit…

Très beau texte. Tout est dit dans les commentaires précédents.

Laura-Solange a dit…

J'aime beaucoup" un dimanche d'enfance à la doublure grise " "attendre que l'enfance fonde en métamorphoses"... Et je ne me souviens plus dans quel texte tu as déjà évoqué ce tableau...

Lìn a dit…

ah ces jeux de mots et de sons, de lectures croisées possibles si on joue à changer l'orthographe durant la lecture. J'adore