Je lui avais bien dit que je n'aimais pas le rouge.
Sous prétexte qu'il aime les cerises, les steaks saignants et respecte le code de la route, il m'a offert cette robe écarlate. Il est égoïste et mesquin.
Quand je suis partie arpenter la rue de ce village, il y régnait une atmosphère de fournaise. Lui, il paradait sous son panama, moi j'essayais de me pavaner dans mon fourreau sanglant. Personne pour nous regarder passer. Mais peut-être nous épiait-on à travers les persiennes, derrière les vantaux, à la crête des éventails.
Au loin, on entendait parfois une clameur. Je lui disais rentrons, j'ai trop chaud, les talons me tordent les chevilles, ce qui entre nous est assez paradoxal, me répondait-il avec justesse.
Il jubilait, exhibant à son bras la plus belle des saucisses qu'il eût jamais conquise."La vie elle-même n'est-elle pas ce grand instrument que le Seigneur a négligé d'accorder ?" me dis-je en contrepoint.
La clameur s'amplifiait. Une grande vague de "olé" lancinants.
Je me tordais les chevilles, il me retenait par le coude. Nous avancions dans cette rue sans fin, sans âme qui vive, comme dans ces westerns où à l'horizon de la rue est peu à peu sculpté le mot FIN. Soudain la foule hurla. Puis plus rien, comme une transparence, un arrêt de mort.
Nous nous immobilisâmes. Surgi de nulle part, un immense taureau noir et baveux et luisant et sanguinolent, qui n'en avait pas fini de sa colère, me fit face, contemplant ma silhouette luisante écarlate suante, mais pas baveuse ni encore sanguinolente. Il racla le sol comme le lui avait appris ses ancêtres; me chargea et m'encorna.
Sur ma belle robe rouge, le jus sucré des cerises de mon sang factice repassa une deuxième couche de rouge. Le médecin remplit l'acte de décès puis il me ferma les yeux. Rideau.
Pour la prochaine prise, il faudrait me procurer une nouvelle paire de talons aiguilles.
1 commentaire:
un vrai film, je vois la scène...
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