Oublier
?
On raconte volontiers que le temps aide, qu'avec le temps on
oublie. Les hommes s'accrochent à cette idée, veulent y croire à
tout prix pour adoucir quelque peu le chagrin d'un départ, d'une
disparition ; le trou creusé est si intense que
chacun se cramponne au moindre espoir.
Tout
d'abord l'odeur disparaît : ton odeur tant aimée dans laquelle
parfois je venais noyer mes pauvres chagrins, dont
je m'abreuvais comme à un sein, le parfum de tes cheveux, du creux
de ton cou, celui de lait et de foin, celui de l'enfance. Il m'arrive
parfois de la retrouver au pli d'un de tes vêtements, au coin d'une
rue, apportée tout à fait par hasard par le vent et je sais alors
que tu me fais signe, que tu es toujours là avec moi, pour moi.
Puis
la voix elle-même s'estompe, de plus en plus évanescente ; restent
quelques accents, des expressions qu'avec étonnement je m'entends
prononcer à mon insu.
Tu
fus celle que je perdis la première … puis vinrent les suivantes …
Semaines et mois passent ... effectivement la vie continue, la joie
revient, la vie prend le dessus dit-on, l'envie même de vivre renaît, mais
le trou reste béant, là tapi dans un coin, de ce qui sera désormais
ce nouveau moi qui a dû réapprendre à vivre avec quelqu'un qui a
changé d'état. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, se construire à
nouveau et vivre, non avec un vivant, mais avec un disparu avec qui
l'on continue de dialoguer, d'échanger. La transmission n'est jamais
terminée. Il y a maintenant vingt-cinq ans que tu n'es plus mais le
temps entre nous a oublié de s'écouler, le sablier est bouché. Le
reste des années lui, a bien poursuivi son chemin ; j'ai vieilli, les
feuilles sont tombées d'innombrables fois, les arbres ont reverdi
mais tu es là, présente, ici, maintenant. Je me blottis toujours
contre toi au creux de mes nuits blanches. Vous êtes tous là.
A
chaque disparition sur ma route, la même horreur, la même folle
douleur, le même manque mais je sais que le temps ne fera rien à
l'affaire, ne viendra rien gâcher, que le fil d'or persistera.
Il
y a aussi celui que l'on laisse, loin, dont des milliers de
kilomètres nous sépare, distance qui empêche de se revoir et avec
qui on échange d'innombrables mails qui se vident peu à peu de
toute substance : il manque le toucher, le son de ta voix, tes pas
traînés dans le sable, l'intensité des moments passés ensemble,
les confidences, nos rires …
Que
je porte ton bijou à mon cou, que tout à coup au tournant de la
page d'un livre une de tes annotations me ravisse, que le vent
m'apporte quelques notes d'un de tes airs préférés et voilà mon
coeur qui gambade et toi-vous
assis à mes côtés.
1 commentaire:
magnifique
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