Je lui avais bien dit que je ne savais pas raconter les histoires. Il insistait pourtant. Nous nous connaissions depuis deux heures. Quand je le rencontra, la neige s'abattait sur la montagne. Nous marchions sans voir à plus d'un mètre. Il faisait partie d'un groupe de quatre randonneurs. J'étais seul. Le refuge devait se trouver tout près de nous. Il était tôt dans l'après-midi et nous étions frigorifiés. Découragés. Soudain - j'appris plus tard qu'il était médecin - il hurla en faisant des gestes désordonnés. Le refuge était là, face à nous.
Nous nous engouffrions à l'intérieur
Entourés des ténèbres engourdissant nos corps.
Le médecin entreprit d'allumer le poêle à bois devant lequel nous nous serrions bientôt, assis par terre. Il nous fallait attendre, attendre que la journée s'écoule, demain la météo serait meilleure, peut-être.
L'ennui s'empara de nous. Un autre compagnon de naufrage proposa que nous racontions une histoire, à tour de rôle, pour faire passer le temps et la faim.
Quand ce fut à moi, je ne sus que dire. Avec entêtement. Ce qui agaça le médecin:
Je leur devais bien ça ! Sans eux, sans lui surtout, que serais-je devenu ? Une momie ?
Il commença à s'agiter, aussi dingue que lorsqu'il avait aperçu la cabane tout à l'heure. Il se leva, me menaça de toute sa masse, gauche et lourde.
Ses collègues le regardaient faire, sans le raisonner. Il semblait décompenser de l'aventure et de bien d'autres choses que j'ignorais.
Plus il s'énervait, moins je ne pouvais parler, encore moins retrouver des souvenirs ou inventer un conte. Soudain, il prit le bâton qui lui servait de tisonnier, le dressa au-dessus de mon crâne.
Alors dans un dernier souffle, les larmes tremblantes, je proposa que nous composions un texte, chacun ajouterait une phrase à celle que je prononcerais d'abord :
- le médecin remplit l'acte de décès
- puis il me ferma les yeux
- rideau
- ...
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