mardi 7 décembre 2010

Vision de loin, vision de près ... suite

Raté. L'ombre m'a aspiré et me voilà dans la boule de verre du dessous, le pendant exact de la précédente mais à l'envers. J'ai quitté la belle neige immaculée et fais face à ce qui se cache au-dessous : encore des images se répondant deux à deux. Toutes ces images se télescopent, mon esprit ne parvient à établir aucun lien entre ce sol qui brille, cette table cirée comme un miroir, ce mur blanc, ce plat de porcelaine qui éblouit, toute cette chair visqueuse et blanche, l'horizontalité du sol, la verticalité du mur, une nausée me remonte de l'estomac, enfermée là-dedans avec mes entraves, seule dans mon effort inutile, avec deux regards fixes d'outre-tombe ou bien est-ce moi qui suis passée outre-tombe ?


Là, l'oeil, l'oeil vitreux d'un poulpe sur une table et toutes ces longues pattes, pattes galbées et vivantes de la table de bois ciré, tentacules mortes et molles du poulpe, oeil qui me chavire.


Ici, les grands, gros yeux noirs d'une poupée au regard fixe, fulgurant, transperçant comme celui dont on m'a souvent fait le reproche et ses bijoux, sa chevelure. Tout s'emmêle : la table, le poulpe, la poupée, leurs regards, je sombre dans une totale confusion mentale.


Et puis je la reconnais cette chevelure noire, épaisse, c'est la chevelure de Gabrielle la morte, celle sur la photo, celle où elle s'appuie à un guéridon, celle qui était dans le cadre en bois, c'est la fille de ma grand-mère paternelle, elle me regarde comme sur la vraie photo du cadre, celle où elle avait quatorze ans, prise avant qu'elle ne meure de sa maladie bleue, ma grand-mère disait qu'elle me ressemblait tellement qu'elle me prenait pour elle, c'est pour ça que j'ai deux prénoms et que le second c'est Gabrielle. Faut que je lui parle à elle, je sens qu'on a des choses à se dire toutes les deux mais comment faire parce que je dois absolument tenir ces deux regards ensemble dans mon champ de vision, ne les quitter des yeux ni l'un ni l'autre, si je fais face à la poupée, alors le poulpe me regarde dans le dos avec ses yeux morts et moi, je suis obligée de me retourner pour le surveiller comme lorsque j'étais petite et que je devais vite allumer la lumière pour voir ce qu'il y avait au fond du lit ou dessous, ou alors que je ne devais pas me mettre à la fenêtre rideaux ouverts et lumière allumée à l'intérieur, parce que sinon j'étais une cible trop facile si quelqu'un voulait viser de loin et me tirer dessus.


Comment faire, je sens bien qu'il va faire nuit et que la peur est dans mes muscles depuis la nuit des temps, comment faire pour me tenir en vie …? Et l'ordi, lui quand je tape « vie », il propose « vieillissement », ça complique tout. Je re-essaie, il recommence. Pouce ! Les deux photos suivantes, vite, vite avant d'être pleines de rides, je suis déjà la grand-mère de ma tante Gabrielle. Au secours !

2 commentaires:

Lìn a dit…

là encore, décidémment, je "vois" des images, un film, un cauchemar filmé, tu est elle, non tu n'es pas elle, elle n'a jamais été toi, quoi que les autres aient cru "impressionner" le film de vos vies séparées, indépendantes; que les temps ne s'enchevêtrent pas, que la vie est toujours ici et maintenant, que que.... douloureux.Beau. Tournis du tourniquet. Magnifique texte.

Anonyme a dit…

Tes tribulations dans ce rêve baigné par la neige de pacotille donnent le vertige. Grands écarts douloureux, peurs imagées,regards éteints,lumières gluantes, injonctions d'hérédité morbides,aspirations du dehors.
Texte de marbre gravé d'ors.
Magnifique oui
Jeannot Nyme