Dans Que ma joie demeure,
Jean Giono écrit: "On a l'impression qu'au fond les hommes ne savent
pas très exactement ce qu'ils font. Ils bâtissent avec des pierres et
ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans
le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de
pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui
compte."
J'ai
souvent pensé à cette ombre dont parle Giono, l'ombre du geste, l'ombre
du mortier: tout ce qui, dans un geste, dans le rapport avec le monde,
est nourri d'intention, d'émotion. Tout ce qui, par-delà la mécanique,
guide la main pour construire un muret et la pierre vers la main. Cette
pierre-là et pas une autre, parce qu'il y a quelque chose en elle qui
convient.
Forcément,
je fais le lien avec les objets. Les objets auxquels on s'attache un
peu trop. Ceux dont on ressent le besoin de se débarrasser, comme une
violence nécessaire. Ceux qui nous parlent et nous attirent, tout
émaillés de souvenirs à
peine conscients. Une bille de verre dans un bol, un galet sur la
plage, un éventail posé sur une commode qui appelle le regard et presque
aussitôt, sans même y penser, le contact de la main. C'est instinctif,
on prend l'objet dans sa paume, on le tourne et le retourne avant de le
reposer. Il y a une émotion qui vibre, entre les objets et nous. C'est
leur ombre à eux.
Lise Benincà " Des objets de rencontre Une saison chez Emmaüs " (Editions Joelle Losfeld)
2 commentaires:
Merci Solange, c'est juste ce qu'il me fallait
Ce texte me touche beaucoup. Il me semble avoir toujours su que c'est "la bâtisse d'ombre qui compte" mais avoir dû attendre toute une vie pour en être consciente. Merci
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