lundi 27 décembre 2021

Des objets de rencontre

 

Dans Que ma joie demeure, Jean Giono écrit: "On a l'impression qu'au fond les hommes ne savent pas très exactement ce qu'ils font. Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui compte."
J'ai souvent pensé à cette ombre dont parle Giono, l'ombre du geste, l'ombre du mortier: tout ce qui, dans un geste, dans le rapport avec le monde, est nourri d'intention, d'émotion. Tout ce qui, par-delà la mécanique, guide la main pour construire un muret et la pierre vers la main. Cette pierre-là et pas une autre, parce qu'il y a quelque chose en elle qui convient.
Forcément, je fais le lien avec les objets. Les objets auxquels on s'attache un peu trop. Ceux dont on ressent le besoin de se débarrasser, comme une violence nécessaire. Ceux qui nous parlent et nous attirent, tout émaillés de souvenirs à peine conscients. Une bille de verre dans un bol, un galet sur la plage, un éventail posé sur une commode qui appelle le regard et presque aussitôt, sans même y penser, le contact de la main. C'est instinctif, on prend l'objet dans sa paume, on le tourne et le retourne avant de le reposer. Il y a une émotion qui vibre, entre les objets et nous. C'est leur ombre à eux.

Lise Benincà " Des objets de rencontre Une saison chez Emmaüs " (Editions Joelle Losfeld)

 

2 commentaires:

MarieBipe REDON a dit…

Merci Solange, c'est juste ce qu'il me fallait

Ange-gabrielle a dit…

Ce texte me touche beaucoup. Il me semble avoir toujours su que c'est "la bâtisse d'ombre qui compte" mais avoir dû attendre toute une vie pour en être consciente. Merci