Consigne 1. Lieu
Il
faudrait écrire à partir d’un ici, le choisir suffisamment nourrissant pour
fabriquer un texte dans la durée. Lieu réel ou inventé, lieu des rêves ? Dans
des temps chronologiques ou des temps morts. Des mi-temps ou des temps métissés,
des temps hétéroclites successifs ou emmêlés ? Maintenant, je suis là, ce
lieu est là-bas. La nuit commence à envelopper le jardin, les lampes de la
salle à manger sont allumées. Là-au-loin il faut éclairer l’extérieur du
cabanon. Le mistral a faibli après avoir soufflé fort dans la journée. Je
regarde les épines de pin éparpillées sur le sol bétonné de la terrasse, me
dis que demain j’aurai à passer le balai. Je ne vois pas les écureuils
sauter de branche en branche. Au loin, les pleurs d’un chien esseulé. A
cette heure, les cigales ne chantent plus. Pas de cris d’enfants
jouant au ping-pong juste derrière mon bungalow. Les vacanciers sont repartis. Ma vieille voisine, qui demeure ici durant les mois les plus chauds, a repris le train. Les gardiens du village de vacances savourent le
retour au calme avant de penser aux travaux d’hiver. Tout est silencieux,
presque triste, nostalgique. Automnal.
Fin
août. Le soleil est déjà bas, il filtre dans le mouvement des arbres et éblouit
le pas de porte. Il y a eu beaucoup de départs aujourd’hui. La plage était moins
dense que les jours précédents. La mer plus bleue. Le voyage m’a fatiguée, je
somnole et me promène entre les cabanons. Une porte est grande ouverte,
pourtant j’ai vu la famille s’entasser dans la voiture surchargée de valises et
de sacs. Ils ont oublié de donner un tour de clé. Oublié le départ, refusé le
retour du quotidien. Des affaires sont réunies à l’intérieur, mis en tas. Je
vais pour fermer cette porte mais mon regard est attiré plus loin, j’entre,
jette un œil dans la pièce, tout semble identique aux autres cabanons, une
pièce d’une dizaine de mètres carrés, un grand lit double, des lits superposés,
un frigo et une plaque de cuisson, un évier et un chauffe-eau. Pourtant une
autre porte s’entrouvre au fond de la pièce, je vais voir. Je suis surprise car
un escalier descend dans un sous-sol improbable, aucune cabane n’est sur deux
niveaux pourtant. Je l’emprunte craintivement. Il débouche sur une autre pièce
identique à celle du haut, sans lit mais avec un second frigo. Deux frigos.
Free Go !
J’ai
quatorze ans, On est en 1977. Mes parents viennent pour la première fois dans
le village des cabanes. Mes deux frères sont déjà partis à la rencontre de
nouveaux copains, auparavant ils ont pris d’assaut les lits superposés. Je
monte ma petite toile de tente dans le jardin devant la terrasse. Je serai
libre ! Libre d’aller et venir, libre de rentrer le soir sans que mes
parents me voient, libre de me lever quand je veux, libre de lire jusqu’à ce
que les yeux picotent, peut-être même jusqu’à minuit. Il y a un évier mais pas
d’eau courante. Les corvées enfantines commencent : aller remplir les bacs
et les sceaux à la fontaine. S’arroser au passage. Les douches collectives sont
froides, on n’a pas encore inventé le système de carte permettant de prendre
une ondée chaude, cela viendra, dans quelques années, on ne le sait pas encore
et on s’en fiche. Il y a des enfants partout sur les 98 terrasses. Ils courent
entre les bungalows, se réunissent en nuées vers le ping-pong, se dispersent
soudainement et recomposent leurs grappes remuantes plus loin, sur le terrain
de volley, à l’entrée du village, devant le mas qui vend les glaces et le pain.
Seule
sur la terrasse, j’ai allumé la lampe qui éclaire la table poussiéreuse, je
n’ai sorti qu’une chaise blanche. Les locataires précédents ont oublié un
journal sous le lit. Un journal vieux de dix jours. La météo se réjouit du
printemps qui revient. Le week-end de l’Ascension a embouteillé les autoroutes.
On s’interroge sur la poursuite de la guerre. Encore des enfants tués à Homs. Lasse, je le referme. Cet escalier descendant
dans un sous-sol… je m’étais sentie coupable d’entrer chez des gens que je ne
connais pas, qui ne m’ont pas invitée. Peu importe. Le sommeil m’attire vers le
grand lit que je n’ai pas encore préparé. Je viens d’éteindre la terrasse, et
je ferme la porte à clé difficilement, c’est vrai qu’il ne faut pas trop
l’enfoncer dans la serrure, qu’elle a du jeu, qu’elle résiste, elle, si
ancienne. L’odeur de la résine des pins me berce et je m’enroule dans un drap, je
ferais le lit demain. Je me souviens que j’avais posé mon vélo en bas de
l’escalier, pourquoi y-avait-t-il deux frigos ? Pourquoi j’avais un vélo ?
Il y avait une porte vitrée sur le côté gauche, elle débouchait sur une coursive
souterraine qui semblait desservir d’autres cabanes. Un homme sans âge était
apparu, derrière la vitre, paisible, j’avais sursauté, surprise et, avant de
m’expliquer avec lui, à grandes enjambées, j’avais remonté l’escalier du temps
et du rêve, vite. Vite à s’essouffler. Free ! Go !
4 commentaires:
Free Go, et sirop d'orgeat pour les vacances ; bonne odeur fraîche aussi dans les narines, assez visuel, ça me plaît.
dans le premier paragraphe, il y a -je pense- une confusion entre futur et conditionnel, en tous cas, au niveau "concordance" des temps, ça ne marche pas à tous les coups. Qu'en disent les maîtresses ?
le "frigo" me plaît beaucoup, ainsi que les textes.
Oui, bien sûr, 5° ligne, "je regarderai" devrait être au conditionnel (comme l'est le verbe précédent), de même pour " dirai-verrai-entendrai", comme le sont les suivants au pluriel où tu as très justement écrit "chanteraient" et non "chanteront"
Quant à moi, j'ai complètement changé de lieu et il n'est pas dit que je ne changerai pas encore, l'exercice me plaît beaucoup. Patience ça vient
Ok les filles ! Mes temps hétéroclites et emmêlés ne passent pas la barre du français légitime alors de corrige au présent simple !
J'aime bien aussi car tu esquisses des ouvertures ! C'est très visuel et je me suis assise sur une chaise blanche!
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