Assise sous les platanes,
la table ronde entre nous, c'est la source à l'arrière, enfouie
sous l'herbe verte que j'entends. Un murmure à peine audible mais sa
fraîcheur se répand dans tout l'espace en un chuchotis apaisant
continu. C'est d'elle que vient l'envoûtement de ce lieu, même si
je ne m'en rends compte qu'après quelques minutes. Toute cette
verdure, ce coin replié sur lui-même, la vigne vierge montant à
l'assaut des vieux murs, ces arbres en bosquets ne sont là que comme
écrin à ce mince filet d'eau perpétuel.
Maintenant, tous les
volets sont ouverts, mais la maison ne parade pas. Elle ne s'emplit
pas de lumière par de grandes baies vitrées, elle respire
humblement, c'est par rais que pénètre le soleil et par taches
d'ombres dansantes qu'à peine s'éclaire la cuisine. L'odeur de
vieux bois, d'étoffes, souvent enfermés, imprègne l'air. La même
distribution des pièces que dans l'enfance, l'escalier de bois raide
qui conduit à l'étage, les fenêtres étroites et les lourds
édredons qui s'enfoncent dans les lits. On voudrait ne plus bouger,
ne plus respirer, de peur que sa présence modifie les lieux. Alors
on parle peu, on parle bas et on redescend sur la pointe des pieds
avec un peu le sentiment d'une profanation. Dehors, le soleil de
septembre encore étonnamment chaud nous incite à rejoindre
l'ombrage des platanes aux troncs desquamés et je me surprends à
avoir envie de détacher de mes doigts leurs plaques irrégulières.
Le soleil descend vers
l'ouest. Sortant d'un envoûtement de plusieurs heures, je me hasarde
à explorer les différents espaces séparés les uns des autres par
des haies qui s'ouvrent face à la maison et dont la végétation
semble avoir poussé spontanément. L'un, tout resserré autour de la
source et qui conduit par un étroit chemin bordé de buis à un
compost, le second, un peu plus grand, odorant. Je cherche longtemps
avant de comprendre que c'est cet arbre aux fleurs peu voyantes, un clérodendron qui me retient et me donne envie d'y installer, à vie, une
chaise longue. Plus loin un espace plus ouvert, un tas de bois mort,
une prairie et une ancienne muraille à trois quart écroulée,
toutes recouverte de buisson qui le borde. Et, tout au fond, un
impénétrable fouillis de bambous, d'arbres qui bouchent la vue et
la progression et qui protègent aussi de toute autre sollicitation
que le lieu lui-même.
Quand est-elle arrivée ?
En tout cas, il fait nuit et nous sommes toujours assis à cette
table. La source prend maintenant tout l'espace sonore. Les
pipistrelles traversent l'espace de leurs vols anguleux. Il est temps
de fermer les volets. L'escalier craque, la première pièce en haut
est encore claire, sa fenêtre ouverte à l'ouest m'attend. Appuyée
à sa margelle, le regard passant par-dessus les arbres, c'est une
immensité de lumière et de silence que je reçois comme une vague.
Le silence est sculpté par les crissements d'insectes. Le léger
rougeoiement du ciel strié des longues traînées argentées des
avions tremble du cri régulier d'une effraie. Je t'ai appelé à
voix basse : « Viens voir ». A nouveau le silence
enveloppe tout l'espace, déjà le ciel a changé. Il faut fermer,
les volets, la maison et reprendre la route
2 commentaires:
Quelle surprise ! Changement de lieu, de style, le personnage est cette maison et non plus les passants
Nouveau lieu! J'aime bien aussi!
"Alors on parle peu, on parle bas et on redescend sur la pointe des pieds avec un peu le sentiment d'une profanation." Cette phrase me parle...
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