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Dans le silence matinal,
le bruit métallique de l'eau qui coule dans un broc.
Petite, plutôt ronde,
noire des pieds à la tête, le chignon serré au creux du cou, elle
se tient de profil près de la source. Elle porte une lourde seille
au bout du bras droit et une brassée de légumes à fanes sur
l'autre bras. Vue de la fenêtre, c'est sa silhouette qui émerge du
brouillard matinal.
Une silhouette ratatinée
par des générations de privations et de longues années de labeur.
Lui, est assis lourdement
sur le seuil. Les pieds écartés, il est ancré dans le sol. D'un
mouvement régulier de va et vient de sa main sur la pierre usée,
provient un frottement bien connu : il aiguise son couteau avant
d'entamer son pain. Son visage est caché par le feutre gras de
crasse, seule émerge la grosse moustache blanche. Le bâton pour ses
bêtes gît sur le sol. Il arrive des champs, c'est la première
pause de la journée. Poussé par le pouce, le couteau coupe un
morceau de pain et le porte à sa bouche.
La fillette est maintenant
levée, le brouillard a disparu et un chaud soleil automnal s'apprête
à s'installer au-dessus des platanes devant la maison. On attend
fébrilement les vendanges. C'est pour dimanche et déjà tout dans
l'air l'indique : les guêpes qui bourdonnent sur les lourdes
grappes, les paniers sortis de la cave, les grands tréteaux dans la
cour. Elle a cessé d'observer le temps qui passe, sa principale
activité pendant tout l'été, pour se laisser porter par son
écoulement, contaminée par l'excitation qui s'empare
progressivement de toute la maisonnée.
Loin dans les champs,
Angèle la voisine garde ses dindes, un grand troupeau glougloutant,
dindons bruyants aux
caroncules rouge-vif tombant sous la gorge et le bec, dindes grattant
la terre. De sa longue trique, elle les regroupe et quand elle juge
qu'ils sont suffisamment loin de tout champ interdit, elle pose son
gros derrière sur une pierre et reprend son tricot : écharpe,
chaussette à la couleur indéfinissable d'avoir été si souvent
tricotée, détricotée, retricotée.
Je revois souvent ces
scènes vécues si intensément chaque automne. Cette maison, ce
jardin, ces champs vallonnés environnants. Je contemple ce tableau
disponible en tout temps, tout lieu. Comme un film très lent, mon
Bela Tarr personnel, les scènes se déroulent au ralenti, quasiment
figées. La même petite fille, le nez collé à la vitre ou
accroupie dans l'herbe reste là à observer, attendre, avec la
certitude, que c'est en ce lieu et nulle part ailleurs que -s'il se
passe quelque chose- l'évènement se produira.
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