Il
descend du vaporetto provenant de la gare de Santa Lucia peu après
9h . Vêtu d'un costume clair mais strict, se tenant très droit et
le regard porté loin devant, il fend la foule de touristes,
agrémentant sa traversée de quelques permesso afin
qu'on lui laisse libre le passage. Une petite serviette de cuir noir
pend au bout de sa main gauche et de la droite il tient le quotidien
Il Gazzettino acheté
à la gare. Il traverse la
Piazzetta le long du Palais des Doges en doublant la file d'attente
déjà formée des touristes attendant patiemment de pouvoir entrer
dans la basilique. Il n'a pas un regard pour les merveilles qui se
déclinent sur cette façade, il contourne l'église sur sa droite et
s'engouffre dans une calle
où très vite il entre dans un bar , salue le patron , boit un café
où il trempe une brioche tout en feuilletant les pages de son
journal. D'une élégance
d'un autre âge, il a cet air digne et ample qui laisse la lumière,
qui à Venise est reine, se glisser dans la lenteur étudiée de ses
gestes : on se croirait dans un tableau de Vermeer.
Si on observe mieux, il feint
la lecture des informations car son regard se pose sur le grand
miroir derrière le bar où se reflètent les clients assis derrière
lui. Il scrute plus précisément une femme seule buvant elle aussi
un café, triturant un téléphone portable en semblant hésiter à
composer un numéro ou espérant peut-être une sonnerie libératrice.
S'il était
dans un film ou un roman, il pourrait
s'approcher de la table sous un fallacieux prétexte et engager une
conversation. Mais son café est bu et il est l'heure pour lui de se
rendre au travail. Il pose les euros nécessaires sur le comptoir,
replie le journal, salue le patron d'un joyeux Ciao
Pasquale et sort dans la
ruelle sans un regard vers la
jeune femme . A quelques
mètres de là , il ouvre la porte qui conduit au musée diocésain
d'art sacré de Venise
surplombant le cloître
Sant'Apollonia où
il restera la journée en
embuscade derrière la fenêtre,
à espérer la venue de la femme du café. Donnant
l'illusion de contempler la statue sans tête avec enfant sur les
genoux située sous une des galeries du cloître, il imaginera
plusieurs
scénarios de rencontres ….
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