Il referme la
porte de la librairie française calle Barbaria delle Tole
et gagne lentement la place
devant l'église San Zanipolo . Il
réajuste son petit sac à dos sur l'épaule , consulte rapidement sa
montre - il a encore un peu de temps avant de déjeuner - , flâne
un peu en regardant les vitrines : un magasin de sacs (ce qui
est rare dans ce quartier), une pâtisserie dont on lui a vanté les
gâteaux, des restaurants dont les garçons commencent à dresser
les tables sur la place, et
de l'autre côté l'entrée
de l'hôpital ainsi que l'église
qu'il a déjà visitée et
dont lui reste le souvenir d'un espace très vaste avec très peu de
chaises en rapport à la proportion du bâtiment. Pour les tableaux
exposés il ne sait plus ; il sait juste qu'il avait bien aimé
ce bâtiment en brique rose . Il jette un regard rapide à la statue
équestre autour de laquelle des fillettes jouent en tentant
d'attraper des pigeons puis se dirige vers le bord du canal,
contemple le reflet de l'arc concave du pont, descend une des
marches
qui s'enfoncent dans l'eau et
s'assoit. Il reste un long moment immobile plongé dans le regard
porté sur les ondulations colorées
de l'eau, cette sorte de
réalité désencagée qui va s'écrivant, se déplie, insiste, puis
se trouble lors du passage d'une barque ou d'un
canot à moteur. Levant la tête et portant sa vue à l'autre bout de
lui, à l'extrême bord du visible, il aperçoit
tout au fond de
l'intervalle creusé
par le
rio dei Mendicanti qui
débouche sur la lagune, l'île
San Michele où Venise
s'enténèbre . Dans
les pensées qui l'assiègent il se murmure qu'il a beaucoup de
chance de pouvoir se nourrir à tant de merveilles. Il flotte alors
dans son œil le reflet d'un bonheur qu'il a su saisir, une forme de
feu immergé en éclats. Il
feuillette le livre de
Liliana Magrini qu'il vient
d'acheter , découvre la
dédicace à ma mère
puis lit les premières lignes :
Les touristes sont décidément partis. Pas un,
sur le Campo SS. Zanipolo où depuis des mois, et hier encore, ils se
déployaient par troupeaux, paissant la décoration en trompe-l'oeil
de l'hôpital.
Il referme ce Carnet vénitien , scrute à
nouveau la surface du canal où se reflètent des pans de murs
colorés et un ciel qui n'en finit pas de se noyer. Puis il sort de
son sac carnet et stylo et paisiblement trace ces premières
lignes : naviguer encore et encore, entre les langues et les
eaux, lestées de peintures éphémères. tisser sous les soupirs une
étoffe de songes, où se brode au fil sang le cordon qui relie à la
mère. ce qui niche dans le silence, au seuil des mots, et qui
étreint comme une crue.
A peine ces mots posés, la cavalcade des cloches
de l'église prend son envol. Il sourit, revient dans cette sorte de
réalité du quotidien, se relève , et une fois le ponte Cavallo
franchi, se dilue dans Venise.
1 commentaire:
Dès le 1° personnage, j'attendais le lecteur et je me remémorais "Seule Venise" de C Gallay. J'aime beaucoup et attends impatiemment la suite
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