Tous les jours de
là-dessous, depuis des années, je te parle, dès fois que tu
m'entendrais et que tu aurais pitié … Je ressasse l'histoire, là
où j'ai déconné et j'en souffre toujours. Même un tas d'os peut
souffrir de remords et d'amour.
A l'époque, jeune,
fringant, je me la jouais, le vrai parigot. Je paradais sur mon
tracteur. Elles n'avaient jamais vu ça, un paysan en chemisette
blanche, chaque jour une nouvelle, repassée, les bras musclés et
bronzés. Elles étaient toutes folles de moi. Je roulais les
mécaniques, trop facile. A me voir, elles se couchaient, hop dans le
sac ! Mais, il a fallu qu'à mon tour je sois pris. Tu étais trop
belle, trop blonde, farouche, pas si facile. Raide mort amoureux, je
suis devenu. Tu m'aurais fait virer bourrique. Quand tu es partie,
j'ai cru devenir fou, je n'imaginais même pas qu'il était possible
de souffrir à ce point.
La ferme a de plus en plus périclité, la
maladie est arrivée après et la mort m'a pris. Avec toi, je serai
devenu centenaire c'est certain. Avant la fin, ayant avalé toute
honte, ridé, presque un squelette, je n'y tenais plus. Je suis allé
te voir. Malgré mes espoirs au cours des dernières années je ne
t'avais jamais rencontrée, même par hasard, nous n'étions pourtant
qu'à une vingtaine de kilomètres. J'ai lu la pitié dans tes yeux,
l'amitié aussi mais plus l'amour. Tu attendais autre chose qu'un
frimeur et un tombeur, c'était d'un homme dont tu avais besoin.
Devant toi, devant ce que tu avais réalisé durant toutes ces
années, cette grande maison, j'avais honte. J'ai vu pendant cette
rencontre l'étendue du désastre de ma vie. Un frimeux, un bon à
rien, un paradeux, voilà ce que j'avais été. Et il n'y avait pas
de deuxième chance.
1 commentaire:
tu rends très bien l'ambivalence du personnage, je n'ai cependant pas envie de le plaindre cet homme...
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