Un intermède entre les cimetières et les voix qui montent de là-dessous. Eux, aussi les arbres, j'ai bien envie de leur rendre la parole. Alors, en cadeau de Bourdeaux, là où ils sont en liberté, j'ai pondu ça, sur une dernière consigne.
"Qui n'a pas descendu le cours Fauriel après le passage des élagueurs sans ressentir une profonde tristesse assortie de rage, n'est pas destinataire de ce texte. Deux longues rangées -oserais-je nommer cela « arbre » ?- de tristes rectangles plats alignés comme des soldats au garde à vous, meurtris, mutilés, traumatisés après une bataille perdue, à l'image des immeubles rectilignes, aux arêtes nettes tirées au cordeau, ou de rectangles de poissons panés tous calibrés à la même dimension, allongés dans leur boîte. La vie a disparu. Où sont passées la poésie, la fantaisie, la vie proliférante ? Quels oiseaux oseraient se poser sur ces poteaux rigides où pas un rameau ne dépasse ?
"Qui n'a pas descendu le cours Fauriel après le passage des élagueurs sans ressentir une profonde tristesse assortie de rage, n'est pas destinataire de ce texte. Deux longues rangées -oserais-je nommer cela « arbre » ?- de tristes rectangles plats alignés comme des soldats au garde à vous, meurtris, mutilés, traumatisés après une bataille perdue, à l'image des immeubles rectilignes, aux arêtes nettes tirées au cordeau, ou de rectangles de poissons panés tous calibrés à la même dimension, allongés dans leur boîte. La vie a disparu. Où sont passées la poésie, la fantaisie, la vie proliférante ? Quels oiseaux oseraient se poser sur ces poteaux rigides où pas un rameau ne dépasse ?
L'arbre en ville est le
plus souvent taillé rigoureusement pour des raisons techniques ou
prétendument esthétiques qui ne suivent que les désirs de
l'homme. L'arbre n'a pas demandé à être taillé ; laissé à
lui-même, il s'étale, s'épanouit, nous surprend par ses qualités
d'adaptation et nous émerveille. Chaque année, malgré les
blessures et les tailles traumatisantes que lui inflige l'homme,
l'arbre se relève, bourgeonne, éclot, verdit, fleurit, foisonne, se
met en effervescence, resplendit et murmure des feuilles.
Pourquoi deux arbres côte
à côte n'entremêlent-ils jamais leurs branches ? Comment se
transmettent-ils les informations ? Le livre « La vie secrète
des arbres » de l'ingénieur forestier Peter Wohlleben ainsi
que le beau documentaire « La vie secrète des arbres »
apportent de nombreuses réponses.
Je ne peux m'empêcher de
penser à la conférence passionnante que Gilles Clément
(botaniste, paysagiste, entomologiste …) a donnée en novembre 2015
au Salon Tatoujuste à Saint-Etienne. Gilles Clément est fervent
défenseur du mouvement naturel de la nature. Le mouvement est pour
lui le premier principe que devrait respecter le jardinier. Là où
l'arbre vit en toute liberté, en toute spontanéité, nous sommes
fascinés par le génie végétal et émerveillés par sa beauté et
sa puissance.
Gilles Clément a proposé
à la Ville de St Etienne de cartographier les espaces publics ou
privés entretenus ou abandonnés, crassiers, friches industrielles,
bords de routes, talus de voies ferrées … Tous ces espaces de
transition, les délaissés, lieux incultes constituent un excellent
exemple d'espaces où l'homme abandonne l'évolution du paysage à la
seule nature.
Il est le théoricien du
tiers paysage. Le terme de tiers paysage se réfère -non pas au
tiers monde - mais à un tiers-état et aux mots de l'abbé Sieyès :
« Qu'est-ce que le tiers-état ? Tout / Quel rôle a t-il joué
jusqu'à maintenant ? Aucun / Qu'aspire t-il à devenir ? Quelque
chose ». Le tiers paysage nous incite à regarder le végétal
sous un autre angle, à passer de l'idée d'abandon à celle de
foisonnement de la vie et du génie végétal qui sans cesse invente.
Si on le compare à tous les territoires soumis à la maîtrise et à
l'exploitation de l'homme, c'est un espace privilégié d'accueil de
la diversité biologique. Le tiers paysage est un réservoir
génétique de la planète. Et pourtant, ce sont des lieux
dévalorisés, considérés comme négligeables et laids.
Pourquoi ne pas tolérer
un arbre naturel en ville ? Pourquoi ne pas laisser l'imprévu ?
Gilles Clément plaide pour que le politique organise la répartition
des sols de façon à ménager des espaces d'indécision ce qui
revient à ménager le futur. Le professionnel de l'aménagement
devrait inclure dans ses projets des parts d'espaces non aménagés
et même désigner comme espace d'utilité publique les délaissés.
Ce génie végétal, les
plantes l'ont mis au point depuis des millions d'années. Nous
n'avons donc pas à paniquer à les laisser à leur spontanéité, à
cesser de vouloir à tout prix les maîtriser. Les jardiniers ont un
rôle plus important à jouer que d'utiliser leurs technologies
destructrices, celui d'accroître nos connaissances du milieu et
d'être les magiciens qui permettront à nos villes de se libérer de
l'asphalte pour laisser place au vivant, aux inventions de la vie, au
génie des arbres."
Rédacteur : « FLAC »
Front de Libération des Arbres Citadins
Petite
bibliographie de Gilles Clément :
Le jardin planétaire
Une écologie humaine
Toujours la vie invente
La sagesse du jardinier
La dernière pierre
Terre fertile ….
2 commentaires:
Drôlement intéressant tout ça et plein de vie sauvage
On peut aussi lire La Haine de l'arbre d'Alain Baraton, jardinier de Versailles, né un 10 septembre, et dont je tiens le livre tout petit à votre disposition.
Dans les cimetières aussi, les arbres, et certains aussi immortels que nous ! Merci pour cet intermède !
J'adore "les espaces d'indécision"! : j'irais volontiers y rêver...
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