lundi 7 janvier 2019

Etrange /3

Les quatre planches de lambris brisées sur la partie inférieure du mur, où la fenêtre découpe un étroit carré de lumière, laissant affleurer la texture du ciment, pourraient laisser penser que cette “petite pièce” est en réparation. Sous la fenêtre, sertie de grosses pierres de granite, s’encastre un vide, un trou béant mal calfeutré par une table qu’épaule une étagère basse, d’un bois sombre, emplie de livres à la tranche grise surmontée d’une esquisse de portrait. Sur le rayonnage supérieur trône un ancien poste de radio avec quatre gros boutons dans la zone inférieure et deux espaces délimités par un liseré où se déchiffrent avec difficulté des noms de villes d’ici et d’ailleurs et une sorte de toile sombre et GO PO OC écrits en lettres majuscules. Un vase effilé portant quelques brins de lavande et cinq épis de blé s’élève encore plus haut. Face à la porte par où l’on pénètre dans cette pièce, deux étagères de bois clair emplies de livres jusqu’au plafond suffisamment bas pour que, les bras tendus, on puisse toucher les poutres peintes en un blanc crèmeux. Entre les poutres, les planches sont recouvertes d’une vilaine moquette d’un vert noirâtre, fatiguée , aggravant cette sensation d’écrasement et d’oppression . Une porte en pacotille, peinte d’une couleur sombre, emmène au-delà. Sur la partie gauche, l’autre versant de la pièce, il fait très sombre et les livres accumulés en tous sens sur d’autres étagères laissant présager un charivari de récits, renforcent cette impression de bois noirs où l’on hésiterait à pénétrer. C’est une pièce figée, faisant semblant d’exister, mais qui en réalité n’est que traversée pour passer de l’univers d’une cuisine à celui d’une salle à manger. Les rideaux de dentelle ne frémissent pas, le soleil n’entre pas à cette heure là et le silence, aussi resserré que les pages des livres joints, empli d’un long passé, déploie sa toile et possède tout l’espace . Sur le seuil de cette “petite pièce”, une fillette interdite.

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