La cave de Pisieu
Pour tirer la piquette
qu'ils appellent « vin », chercher les carottes pendant
l'hiver, il lui faut sortir de la maison, la longer, passer sous la
grange, marcher jusqu'au fond vers le pressoir, là où aucune
ampoule n'a jamais été installée, soulever la lourde barre de bois
qui maintient la porte fermée et entrer dans LA cave. Suivant la
pente légère, il descend sur un sol glissant, huileux, longe une
rangée de tonneaux sur sa droite posés sur des tréteaux, frôlé
par de grasses toiles d'araignée. Le pire est quand il lui faut
plonger sa main dans la saumure du grand pot en grès, là où ont
été déposés les oeufs afin qu'ils se conservent quand les poules
cessent de pondre. Parfois, la mère le laisse emporter une vieille
bougie que la simple traversée de la cour et de la grange, une fois
sur deux, mouche, avant même d'atteindre la cave. Elle prétend
qu'il n'est qu'une poule mouillée, et mouillé parfois il rentre,
tant il est terrifié.
La maison isolée :
Lugubre, isolée sur un
plateau venteux, la maison semble sur le point de s'affaisser, ses
pierres pressées de retrouver le sol dont elles sont issues. De
nombreuses tuiles manquent, il doit pleuvoir à l'intérieur. Deux
énormes marronniers, malades, tout tachetés de brun, l'écrasent de
leur masse ; l'un derrière la maison, côté nord, sans fenêtres ou
peu s'en faut, recouvre une partie du toit ; le second, devant la
porte d'entrée, barre le passage à qui voudrait s'y introduire. Il
faut le contourner, longer la maison pour atteindre la porte. Aucun
soleil ne peut jamais la réchauffer, ni aucun foyer à l'intérieur
puisque quiconque n'a jamais vu de fumée sortir de cette cheminée.
Un fil provenant du poteau électrique longeant la route pendouille
au-dessus de ce qui pourrait être une cour si elle n'était jonchée
de rebuts, fûts éventrés, carcasses rouillées, meubles aux pieds
manquants ou ravagés de termites, ustensiles plastiques ou marmites
rouillées. En contrebas, une mare stagne, infestée d'orties.
L'homme qui vient chaque jour travailler la terre de cette ferme aux
allures de bâtisse abandonnée semble ignorer le délabrement.
Le chemin vieux :
Au-dessus de la ville,
contournant les maisons, il commence par un grimpillon bien raide, et
permet d'éviter la rue Lafayette très circulante, étroite, sombre,
bordée de maisons, le long de la Gère malodorante car déversoir de
toutes les usines textiles et même de la Fonderie d'argent et de la
célèbre usine de chaussures Pellet. C'est un sentier, à l'écart
de toute habitation, flanqué de mûres à grappiller en été, le
chemin des amoureux, le chemin des satyres pour certains qu'en dira
t-on, très accueillant en plein soleil mais impossible à imaginer
la nuit pour les enfants car aucun lampadaire n'y a jamais été
installé et c'est alors que les on-dit prennent toute leur ampleur
et leur signification, loups-garous, violeurs, égorgeurs forcément
le fréquentent. Les enfants aiment l'emprunter à plusieurs en
pleine journée car d'une part il raccourcit considérablement le
trajet pour rentrer du lycée, d'autre part il leur est strictement
interdit par les mères. C'est donc en cachette avec ce petit goût
délicieux de plaisir volé qu'ils l'empruntent, sans trop s'attarder
toutefois, au cas où …
Le bois de Cour et Buis :
De jour comme de nuit, aucun des trois enfants
n'aurait pu, sans l'abri de la voiture et la présence des parents,
parcourir cet espace où vivait en hiver les charbonniers. Visages et
mains noircis, ou était-ce des nègres ?, tête et épaules
couvertes de sac en toile de jute, deux yeux très blancs sous le
fard du charbon, leurs silhouettes disparaissaient dès que l'auto
arrivait à leur hauteur. On aurait dit qu'ils devaient se cacher, à
moins que leur activité n'ait été illicite. Ni femmes ni enfants,
où mangeaient-ils ? Que mangeaient-ils ? Des meules fumantes se
dégageait une fumée constante et le père avait beau leur expliquer
qu'elle provenait de la combustion lente et incomplète du bois,
d'une carbonisation sans flammes pour obtenir le fameux « charbon
de bois », les trois enfants n'en étaient pas pour autant
rassurés. Vivaient-ils vraiment dans cette cabane rudimentaire
recouverte de branchages, même la nuit ?
La bicoque de la Mère Rieux :
Chacun faisait un grand détour pour éviter de
passer trop près de cette bicoque maléfique de peur de rencontrer
l'une des trois femmes qui y vivaient : une mère au visage plein de
kyste du poil incarné que les adultes nommaient « poireau »,
aux longs cheveux sales pendouillants, laide, méchante, bizarrement
accoutrée, une ivrognesse disait-on et plus encore par dégoût de
ses deux filles, véritables sorcières malveillantes, maugréant
comme des jeteuses de sort, vociférantes, lançant des rires
mauvais, en haillons, soulevant leur jupe puante si vous les
rencontriez par hasard. Il ne leur manquait que le chaudron et le
balai. Vivant à l'écart dans un lieu sauvage, ces femmes étaient
maudites pour leur caractère sombre et fantasque, méprisées pour
leur alcoolisme. Les enfants les moquaient quand ils les voyaient
passer, elles les poursuivaient en fendant l'air de leur bâton.
1 commentaire:
Et oui, "le grimpillon" est bien raide mais je lui trouve une sonorité si sympathique qui le rend plus léger..;
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