1/ C’est un jour dans visage, un de
ces jours habillé de grisaille où la lumière peine à traverser
les carreaux de la fenêtre de la cuisine. Ce n’est pas encore la
nuit, mais ce n’est déjà plus le jour. La fillette, assise sur sa
petite chaise a désormais de la difficulté à distinguer les points
de dentelle qu’elle doit réaliser si elle veut terminer son
ouvrage en ce jour. Un feu lance de petites flèches denses et brèves
au sein de la cheminée. La lumière se concentre sur cette partie de
la pièce, laissant glisser le reste parmi les ombres. La petite
fille est seule à faire cliqueter les fuseaux; elle attend le retour
de sa mère qui a laissé son carreau sur la chaise à côté d’elle.
Dans l’angle opposé à la cheminée, la grande horloge n’en
finit pas de dépecer le temps et de rappeler à l’enfant qu’il
lui faut se hâter. Derrière elle, posée sur la table, se laisse
deviner une tourte libèrant cette odeur si particulière de pain
chaud qui parvient à se diffuser au-delà du torchon à carreaux qui
la recouvre. Le balancier du temps déterre le silence alors que
au-dehors le vent s’est levé. La fillette, dans un soupir, pose
son regard sur les flammèches qui pétillent et oublie son ouvrage.
2/ La nuit est enduite de cette suie
que strient quelques étoiles où le regard cherche à se racrocher
pour garder quelque espoir. Les grands pins serrés les uns contre
les autres gémissent bercés par un vent léger qui se faufile
entre leurs branches. La lune n’est pas encore levée et la marche
sur le chemin caillouteux n’est guère aisée. Elles se tiennent
par le bras, à la fois pour se donner du courage et pour éviter de
trébucher. Elles sont trois à remonter le chemin qui les a
conduites, il y a quelques heures déjà, au bal du village voisin.
Elles sont trois amies: Eugénie, la patte un peu folle, Pauline la
plus peureuse et Madeleine toujours pleine de rires. Leurs sabots
blessent un peu leur peau lorsqu’elles se tordent les pieds sur des
racines ou des cailloux qui obstruent leur marche. La rivière est
franchie: elles ont passé le gué en marchant sur des pierres
judicieusement alignées et commencent la remontée là où la forêt
se densifie et elles rient pour retrouver des forces qui faiblissent
et combattre la fatigue. Elles sont proches du passage où le paysage
se perd.
1 commentaire:
J'aime "la grande horloge qui n'en finit pas de dépecer le temps"...
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