Au-dessus de la ville,
contournant les maisons, il commence par un grimpillon bien raide, et
permet d'éviter la rue Lafayette très circulante, étroite, sombre,
bordée de maisons, le long de la Gère malodorante car déversoir de
toutes les usines textiles et même de la Fonderie d'argent et de la
célèbre usine de chaussures Pellet. C'est un sentier, à l'écart
de toute habitation, flanqué de mûres à grappiller en été, le
chemin des amoureux, le chemin des satyres pour certains qu'en dira
t-on, très accueillant en plein soleil mais impossible à imaginer
la nuit pour les enfants car aucun lampadaire n'y a jamais été
installé et c'est alors que les on-dit prennent toute leur ampleur
et leur signification, loups-garous, violeurs, égorgeurs forcément
le fréquentent. Les enfants aiment l'emprunter à plusieurs en
pleine journée car d'une part il raccourcit considérablement le
trajet pour rentrer du lycée, d'autre part il leur est strictement
interdit par les mères. C'est donc en cachette, avec ce petit goût
délicieux de plaisir volé qu'ils l'empruntent, sans trop s'attarder
toutefois, au cas où … Malgré le petit pincement au coeur
qu'il ressentait à chaque fois qu'ils bravaient en groupe l'interdit
- plus pour l'interdit que pour les dangers du chemin lui-même - il
ne pouvait s'empêcher d'attendre que quelque chose, enfin, se passe.
Il y avait forcément eu, un jour, quelque chose d'étrange pour que
toutes ces rumeurs circulent ainsi, sa mère ne cessait de lui
répéter qu'il n'y avait pas de fumée sans feu. Alors il était aux
aguets et ne cessait de regarder d'un bord du chemin à l'autre,
derrière chaque arbre, au pied des pierres, de dresser l'oreille aux
froissements, bruissements, chants d'oiseaux, de ressentir chaque
souffle d'air plus chaud, de faire palpiter ses narines, frissonnant
de plaisir mêlé d'appréhension. Il avait remarqué qu'à un
certain endroit, en passant devant un bosquet de genêts, l'air était
plus âcre et qu'on y entendait de petits crépitements comme du bois
qui brûle et fait jaillir de petites étincelles. En ce mois de mai,
il s'attendait, avec la chaleur à ce que les crépitements soient là
quand ils passeraient. Bien avant le bosquet, c'est un parfum fort,
enivrant qui l'avertit qu'ils s'en approchaient : les gousses noires
et crépitantes n'étaient pas là mais le bosquet aux pétales d'or
jaune vif illuminait le chemin, des brassées de lumière, et par
dessus, ce parfum enivrant qui embaumait tout le paysage.
Ebloui par tout ce
soleil, la chaleur qui irradiait du buisson, il se laissa entraîner
à rêvasser, hypnotisé autant par cette fleur de soleil ressemblant
à un papillon que par le parfum qu'elle exhalait. Le groupe continua
à avancer sans lui. Alors, il eut envie de s'asseoir, les sens
abasourdis par tant de sollicitations, la tête bourdonnante et une
légère nausée qu'il sentait monter de sa gorge. Peut-être
s'endormit-il, personne ne le sut jamais, mais lorsqu'il rejoignit le
groupe qui refaisait le chemin en sens inverse en criant son nom, il
avait l'air étonné ; ce qu'il avait vu, nul ne le crut, alors même
qu'il n'en démordit jamais, et ce fut une légende de plus qui
circula sur le chemin : « L'emprunter peut rendre certaines
personnes folles ». Assis sous le bosquet, il avait vu, de ses
yeux vu, affirmait-il, un merveilleux arbre en fleurs, couvert de
fleurs jaunes formant une corolle, regroupant mille petites bouches
chantant magnifiquement un air qu'il voyait s'élever dans le ciel en
volutes bleutées ; longtemps; ils les avaient écoutées, il pouvait
même chanter l'air qu'il avait retenu. L'arbre, s'était ensuite, en
accéléré, couvert de lourds fruits dorés qu'il avait cueillis et
goûtés, juteux, sucrés comme des mangues mais ce n'en était pas ;
les fruits s'étaient flétris, étaient tombés, puis l'arbre avait
lentement perdu ses feuilles et ne restait plus que son squelette se
détachant sur un ciel gris de plomb. Il avait beau répéter qu'il
avait vu ensuite de petits bourgeons vert pâle se former au bout et
à l'intersection de chaque branche, branchette, personne ne
l'écoutait plus.
Que personne ne le crut,
il s'en fichait ; ce qui le laissait le plus perplexe était que ses
compagnons, ou auditeurs quels qu'ils soient, aient tant besoin de
s'accrocher à l'idée d'un monde permanent, identique alors que nous
savons bien que tout change constamment et que ce qui devrait les
étonner c'est que les choses perdurent. Pourquoi s'étonnaient-ils
de ce qu'il avait vu : il avait vu le monde tel qu'il est et non pas
tel qu'ils voulaient le trouver.
4 commentaires:
C'est un vrai régal d'écrire sur un buisson de soleil entourée de tout ce blanc, neige au sol, neige au ciel
Le monde des petites bouches en fleurs gourmandes! Et pourquoi le monde ne serait- il pas comme ça? Il serait plaisir, une utopie à transformer.
Je vois que la consigne t'inspire! Et c'est très agréable à lire!
On se love dans cette découverte comme si on ne voulait pas qu'elle ne soit qu'à lui ! eh ben moi ! en fait ! si j'avais été un de ces copains, j'aurais voulu qu'on soit encore plus copain parce que peut-être, il aurait pu m'initier ?! jieffebi
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