dimanche 3 mars 2019

Apnées

Ce soir-là, je m'allonge, montagne d'épuisement ; tout le jour je n'ai pu reprendre haleine ; je me suis noyée, démantelée, rauque, appelée du profond, dans une mer asséchée d'où je ne remontais que des coquilles dont on n'ouvre pas le secret. Je veux dormir, oublier les gerçures, les balafres, la lente calcination des heures.
Etendue dans des draps durs cousus de torpeur, j'esquive le regard du gouffre, mon corps glissant appelle la paix du sommeil profond. Une apnée écrite dans la détresse du jour fait bégayer la lumière par lourdes coulées, j'étouffe ; de ce moment brûlé sourd un vide aveuglant, engluée dans une chaleur de lavande, le dehors me traverse, incandescent. Je vois mes déserts, mes désirs, mes soifs, toutes mes peurs.
Dans un miroitement, j'inspire autour d'un mot qui fuit, je reprends haleine, des ombres mangent dans ma main, une croûte grise se détache de ma tête qui cogne. Appelée du profond, la réserve de souffle fait s'évaser des possibilités, des trames se déchirent, la lumière entaille les ombres, lente calcination. Mon front s'oublie sur une épaule inépuisable. Je reprends pieds par bégaiement d'intervalles, je repousse l'horizon, le ravin se transforme en lac miroitant d'élytres …

… Quand une seconde encre charbonneuse me culbute le long des plinthes de la terre, des langues de schistes durcissent, la mer s'assèche, des ombres où nulle lumière n'entaille m'aspirent vers l'étouffement.
De lointains au-dedans, fins feuillets brisés, surgit une immense inspiration ; le ciel proche m'envahit, l'eau bouge en courses fluides entre de grands golfes contradictoires, les ombres mangent dans ma main, âmes flottées, espoir réapparu.
Etrangère et participante, je crache d'entre mes lèvres un paysage de sel, me désaltère du gras des joubarbes. Un trouble m'envahit d'une voix éteinte, immobile ; une obscure paix installe sa lente palpitation dans mes poumons apaisés.

5 commentaires:

MarieBipe REDON a dit…

ça fait du bien, des mots pleins de consistance et de souffle pour parler de qui n'en a pas, c'est vraiment bien

Laura-Solange a dit…

Voilà, c'est tout à fait ça que j'imaginais!!!! C'est vraiment très bien...

Ange-gabrielle a dit…

Hé bien, merci à vous car je ne savais pas si j'étais bien dans la consigne. Je me suis assise au soleil dans le jardin avec un stabilo, ai barbouillé le texte n°12 avec beaucoup de plaisir, l'ai secoué, mélangé comme au 421 avec le mot "Apnée" en fil conducteur, ai lancé le tout sur le tapis et voilà ce qui en est ressorti, presque à mon insu.

MarieBipe REDON a dit…

les mots sont tapis dans nos replis et n'attendent qu'un rayon de soleil (ou une Solange, ou un petit aiguillon gentil) pour éclore

Linette a dit…

Et oui même avec l'absence la magie des mots opère...