dimanche 31 décembre 2017

remake

L'éternité se fige, se cristallise, se repose, en somme. Le vertige de la pierre immobile souvenir des magmas, monte à l'assaut des nuages et le tourbillon liquide fait revivre la lenteur assoupie des tourbières. Le mouvement s'est retiré de la matière y imprimant sa force, mettant à nu les profondeurs et les secrets de la Terre ; après le feu, c'est l'air et l'eau qui à leur tour écrivent l'ombre du paysage.
(texte écrit pour une expo photo de Luc Pagès)

commentaire universel à vous

On se régale à vous lire, 
des paysages, 
des images, 
des passages. 
Meilleurs vœux à vous 
et longue vie 
à cette Brise

Cartographie #5 collection de pierres #5 : La musique des pierres

Tout d'un coup 30 ans sont passés. D'autres sont nés, qui par hasard ou par affinité lointaine vous retracent, et vous envoient un message en forme de lithophone comme la rune enfin déchiffrée. On saute entre les générations. Ce jeune homme-ci n'a même pas 30 ans. Une chanson en patois, une comptine absconse comme elles le sont souvent, jouant sur les sons plus que sur les sens, réveille vos petits doigts qui contaient la comptine debout devant les genoux de votre maman, comme une gravure. Là, c'était Steve Waring qui chantait en patois, avec son accent américain, mé youne mé dos mé tres,... tole bardole dzin dzin fournaou, s'accompagnant sur les lauzes du Lac Bleu. Les cousines de ces pierres, réveillées en ces jours de fin décembre, à écouter l'Empire des Sons, un après midi entier, avec un jeune homme surgi de nulle part,venu spécialement pour ça, pour venir écouter la musique. Pas de nostalgie mais beaucoup de fierté, deux heures passent, puis cinq. "Quand nos pères étaient des poissons", l'eau a coulé sous les ponts, nous avons perdu nos nageoires, mais pas notre capacité à glisser entre les pierres et à les faire sonner. Laussonne, 43150,puis la Sardaigne avec le sculpteur qui dans son jardin de pierres, découpe à la meule d'énormes masses pour les faire frissonner.
Il est bientôt l'heure. Le jeune homme à la barbe rousse remplit ses sacs. Il emporte sur son dos des milliers de notes de musiques, celles des pierres et celles des synthés, celles des instruments vieillards et celles des batteries et celles des mots de mes chansons. A minuit, enfin rentré chez lui, il envoie un message, il dit "le dos, OK". Portées par la musique, les pierres ne pèsent rien.
Pour entrer dans ma carte, elles n'ont voyagé que de quelques kilomètres. Et leur musique en écho aux antipodes.

vendredi 29 décembre 2017

Pierres collectées/ 2

Maisons de pierres:
La rock-star américaine Patti Smith, admiratrice d'Arthur Rimbaud, a acheté une maison construite sur les ruines d'une ferme ayant appartenu à la famille du poète à Roche, dans les Ardennes.

Depuis le 7 octobre 1877, la maison du Châpre appartient à mes ascendants. Elle a été achetée à Géromme Roche, épicier du village. Mon arrière-grand-père l’a acquise en vue de son mariage avec Julie Roche, née dans un hameau, à Durand, près du château de Chalencon. Lors de son agrandissement, il a fait graver son nom sur une pierre de granite tout en haut: PORTE. L’inscription se distingue encore pour un œil averti Jusqu’au début du XX ème siècle huit personnes vivront là ainsi que quatre vaches. Sur la pierre de seuil, on s’installe pour les photos gardiennes de souvenirs; lorsque les travaux de réfection du chemin passant devant la maison seront entrepris, la pierre sera ôtée pour la remplacer par un étroit trottoir. Au dos de celle-ci, on découvrira alors une croix sculptée en relief, témoin de la période où cette dalle devait se trouver dans l’ancien cimetière. Quel sommeil éternel a-t-elle protégé ? Retournée , croix en miroir du ciel , elle a trouvé place dans le petit jardin où nul ne git sous son ombre hormis des souvenirs.
Maison en granite, comme toutes les maisons anciennes de ce village, long vaisseau de pierres au passé présent, dressé au bord du chemin qui grimpe doucement vers le rocher îlot où l’enfance s’est gravée. Dans ce que je nomme encore la grange et qui est un grand salon , à l’angle d’une fenêtre avec le mur , à un certain instant du coucher de soleil en été, une pierre s’illumine et se façonne en visage de vieil homme. Magie de la lumière creusant les reliefs de la roche dont j’attends le rendez-vous. En ce visage fugitif, d’un éclatement fauve, se confondent les images de tous ceux qui ont respiré et espéré là entre ces murs épais, laissant la trace de leurs rêves logés entre les pores de la pierre d’angle.

une silhouette de pierre encapuchonnée 
se dessine quand le soleil s'abandonne  
au-delà du voilage:l'invisible palpite 
alors dans les danses des ombres.je ne
vois pas et puis je vois le spectre au
visage de crépuscule figé sans souffle
mais avec toutes les voix jaillies des
murmures qui suintent encore du granit
de ces murs. je ne vois pas et puis je 
vois le spectre dans sa pose théâtrale
drapé de cette suffisance de celui qui
sait et qui nous l'avait bien dit même 
si on n'écoutait pas.les yeux happés à
l'intérieur vers cette noirceur froide
le spectre s'efface en silence.je vois
et je ne vois plus: le mur me rend mon
souffle quand la lumière s'éteint.cela
s'éloigne et articuler se peut même si
les mots sont de cendre et je ne dirai
pas de nom sur cette image qui s'en va


Et de pierre en écho, mon esprit vogue vers une autre maison de pierres , celle de Durand où naquit mon arrière-grand-mère, près de la rivière l’Ance et où je vais de temps en temps voir les amis qui ont racheté ce lieu; et le bonheur simple de savoir que là dans le hangar attenant, mon amie sculptrice trouve l’inspiration pour créer des statues en terre qui donnent à voir, au-delà des paupières closes , un souffle qui affleure. 

 
Deux maisons nobles où ont vécu ceux qui ont permis que je sois. Pierres qui épousent les siècles, les lames de ciel au-dessus, et couvrent les murmures des ancêtres sous leurs sépulcres perdus.

jeudi 28 décembre 2017

Cartographie 4

Ça commence par quelques sources, un peu avant le col de la République, venant de Saint-Etienne direction Bourg-Argental, près de la N82, ensuite les eaux se rejoignent et se mêlent, les rus deviennent un seul ruisseau; le ruissellement est indécis et le cours incertain; l’eau serpente et procède par accélération brusque quand le dénivelé se fait plus pentu, le ruisseau prend alors des airs torrentueux. Il se calme en gagnant les prairies lorsqu’il passe entre La Pauze et Merlou, le parcours sinueux et lent présente un intérêt; une partie de l’eau est restituée à la terre, elle s’infiltre doucement et gagne les anfractuosités de la roche-mère afin de poursuivre  un cours souterrain plus lent ou d’alimenter des réserves en sous sol. Le ruisseau se fait rivière, elle a son nom; c’est la Semène.
Elle glisse au cœur des prairies, suit le versant sud et descends au fond du vallon, elle tourne à l’ouest vers le Pré; près de la Célarière, la Semène reçoit tout les ruisseaux de la combe qui va de Riocreux à Bel air et rencontre la D37 qui descend de la République; elles continuent ensemble vers l’ouest, la rivière, en bas, longe les bois  qui couvrent en partie le versant orienté au nord, la route, un peu plus haut, dans la pente exposée au sud. À la hauteur de la première ferme de Berthoux, la route continue en direction de Saint-Genest-Malifaux alors que la Semène pique au sud, se glisse le long de la seconde ferme de Berthoux, laisse le Mas sur sa droite, là ou la D22 qui descend des Trois Croix l’enjambe, et file vers la Scie de la Roue; c’est un lieu de convergence d’eau, de ruisseaux: rive droite, ceux des Glacières, de Hauteville et du Plat, rive gauche, celui du Seuve, celui des Chomeys.
La première attestation d’une installation hydraulique à la Scie de la Roue date de 1390. En 1860, Marcellin Munier transforme son moulin en boissellerie propre à fabriquer, seilles et seillons, barattes et autres boisseaux. En 1884, Antoine Jourjon installe un peu plus loin à Pillot une usine de tournage sur bois qui fabriquera des pièces pour les métiers à tisser des passementiers, des poulies et des engrenages en bois. Plus remarquable, à partir de la Scie de la Roue, il crée par une levée, un bief de 700 mètres; en prélevant une partie des eaux de la Semène ce bief alimente une chute d’une vingtaine de mètres, propre à faire fonctionner  les deux turbines de marque Brenier & Neyret de l’usine électrique installée à côté des ateliers de tournerie. La plus petite est destinée à faire fonctionner les machines de tournage de la fabrique; la seconde alimente en électricité le village de Saint Genest Malifaux et quelques hameaux; l’électricité est réparti comme suit: une ampoule par maison, le reste pour les métiers des passementiers. En 1898, pour répondre à la demande Jean et Marius Jourjon, les fils d’Antoine installe une turbine à vapeur et une usine électrique thermique.
Après Pillot la Semène traverse des prairies gorgées d’eau; le parcours est particulièrement erratique qui la conduit à l’entrée d’un vallon au fond duquel elle alimentait la scierie du Sapt. Celle-ci est maintenant recouverte par les eaux du lac du barrage des Plats, construit en 1957, au niveau de la gorge qui ferme le vallon.

Après le mur, l’histoire industrieuse de la Semène se poursuit: après Saint-Genest-Malifaux elle traversera Jonzieux, Marlhes, Saint-Victor-Malescours, Saint-Romain-Lachalm, Saint-Didier-en-Velay, Saint-Pal-de-Mons, La-Séauve-sur-Semène, Pont-Salomon et Saint-Ferréol-d’Aurore avant de rejoindre la Loire après 45,7 kilomètres de cours, au lieu-dit Semène sur la commune d’Aurec-sur-Loire.

mercredi 27 décembre 2017

Pierres collectées /1

 Rocher de la Moutière:

La mer n’était pas là; mais il y avait une île. Un îlot gris à la lisière de l’au-delà. Un grand corps de pierre empli de feldspath, de mica et de quartz. Un rocher de granite dormant au bord d’un pré. D’un côté un chemin de sable et de pierres — tu me l’as dit : il y a des jours de pierres et des jours de sable — surmonté d’un pré légèrement pentu chapeauté d’une forêt de pins. De l’autre côté – devant lui – une prairie en pente douce où poussent mousserons et roses des prés dans les bonnes années, puis la pente s’intensifie et c’est le chemin d’en bas qui suinte un peu plus loin dans la forêt où naît le ruisseau du Moulinet. Devant lui: un rocher est-il orienté ? A-t-il un dos et une face? Etant toujours assise sur cette rugosité face à la pente, le regard ricochant sur l’autre versant où s’entrelacent les mêmes silences mais que je ne peux m’empêcher de balayer d’un regard d’enfant. La paume de la pierre pétrie d’une moisson de lichens safranés caresse ma main qui hésite avec une poignée de mousse sombre et rase — tu me l’as dit: on ne gratte que des surfaces — .
Les pieds sertis dans la cupule, je reste dans cette immobilité sereine, en méditation sans le savoir. D'un regard circulaire je bois jusqu'à la lie ce paysage où mes yeux ricochent de collines d'écume en forêts de vent et de sentiers d'ombres en poussières d'étoiles, et reviennent s'accrocher aux branches mortes de l'arbre qui se tient ferme au milieu du pré, portant avec noblesse tous ceux qui ne sont plus : à leur souvenir , je baisse un peu les yeux tu me l’as dit : rien ne presse —.
Les légendes autour des cupules, ces cavités dans les gros rochers de granite, racontées avec un petit air de mystère: pierres de sacrifice où l’on immolait des hommes – enfants – en sacrifice à un dieu avide de sang…. et j’ai le souvenir de cet allongement sur la roche – une autre que celle-ci – les bras en V et le malaise qui en suivit. Les pierres liées au monde surnaturel depuis la nuit des temps: pierres levées, monolithes, mégalithes...pierres qui sonnent et résonnent…. pierres tombales…. comme un appel au dépouillement, à ce qu’il y a de plus sacré en soi...
Rocher de la Moutière, où sont celés mes souvenirs , —  tu me l'as dit: je me souviens de tout le monde même de ceux qui sont partis — dont je caresse à chaque passage la texture rugueuse et grenue, les yeux rivés vers les lointains. Îlot d’enfance protégé , bordé de nostalgie et de grandes marges de silence. Peu de choses ont changé au fil de ces années, quelques arbres en moins, quelques maisons de plus, et toujours ces grosses pierres en granite qui ourlent le contour de l'étoffe verte. Je sais que c'est là qu'est né ce regard décalé que je pose sur les espaces, sur les plis, les parenthèses, les visages et les ciels qui se consument devant moi. Sur le miroir du soir et sur les bleus des aubes.

 

mardi 26 décembre 2017

Collection 3

Qui de l'araignée ou de sa toile sera le sujet ici ?
Dans l'écurie, les toiles grasses épaisses vieilles de plusieurs années n'étaient volontairement jamais nettoyées. Ces filets solides avaient leur utilité pour garder les mouches prisonnières afin qu'elles n'aillent pas se coller dans les yeux ou les pis des vaches. Les araignées étaient aimées, jugées utiles et leur travail respecté. Les paysans avaient du respect pour elles et ne les chassaient ni des étables ni des maisons. Ils savaient qu'elles avaient un rôle stratégique pour l'agriculture et l'équilibre des écosystèmes qu'on ne nommait même pas à cette époque.




Leurs toiles se rencontrent partout, dans les coins des étables, des maisons, aux plafonds, dans les herbes, dans les arbres … Elles sont adaptées à tous les milieux, cavernicoles, montagneux, équatoriaux ou arctiques. Elles sont les plus grandes ubiquistes. Très discrètes, leur mimétisme, dans leur propre habitat les rend souvent indétectables. Ce sont elles les grandes contrôleuses des populations d'insectes et si nombreuses qu'elles représentent à elles seules deux fois la biomasse de tous les humains peuplant la planète.
Mais la plupart des humains éprouve crainte et méfiance quand ils les croisent : prédatrices dans les films d'épouvante, phobies multiples et hurlements quand on les voit.




Seules leurs toiles ont inspiré des légendes positives. Celles-ci extraordinaires par leur sophistication, leur résistance, leurs variétés évoquent toute une symbolique. Les araignées secrètent une soie par des filières situées à l'arrière de l'abdomen produisant de longs fils qui leur permettent de se déplacer, de tisser toiles et cocons emprisonnant leurs proies ou protégeant leurs petits, voire de construire un dôme leur permettant de stocker l'air sous l'eau douce. Ces toiles ne sont le résultat d'aucun travail laborieux, d'aucun plan concerté, tissées sans ces cartons qu'utilisent les tapissiers. Elles n'émanent d'aucun vouloir-faire ou projet-pensé ; disparue la nécessité du projet … et pourtant elles existent. Elles nous montrent ce que l'inné est capable de produire et l'araignée ressemble alors beaucoup à l'humain des mains duquel surgit une oeuvre non préméditée.


Par leur équilibre, elles ont inspiré les mandalas qui sont des structures qui se développent selon une double symétrie -cercle et carré- souvent supports de méditations, les schémas heuristiques qu'utilisent la science moderne, des mythes tels celui du filet d'Indra qui est une magnifique métaphore dont se sert la philosophie bouddhique. Le filet est multidimensionnel. A chaque noeud formé par les fils, il y a un joyau qui se reflète dans tous les autres, ils se réfléchissent l'un dans l'autre, reflet après reflet, à l'infini. Ainsi tout est toujours relié à tout, aucun être n'est jamais à part , mais comme chaque joyau, il est actif, envoie, reflète, donne, reçoit. Plus il y a de lumière, plus chaque joyau en reflète.
Tout dans la nature se développe selon ce schéma de réseau « ensemble permanent ou accidentel de lignes entrelacées, le tracé de la toile est aussi permanent que celui des lignes de la main » (F Deligny), y compris la vie sociale des humains. D'innombrables réseaux se trament constamment, c'est l'espèce qui parle et s'exprime, non le projet concerté.



Hier soir, j'ai bien cru avoir vécu un miracle. De mon fauteuil où je lisais, dans la lumière de la lampe de chevet descendait lentement une araignée d'or. Le fil totalement invisible, seules ses longues pattes dansaient. N'en croyant pas mes yeux, je me suis très lentement approchée : véritablement d'or étaient ses immenses pattes et son corps minuscule, elle se balançait, descendant, remontant, équilibriste de génie, d'une beauté inouïe. J'y ai vu un signe positif du destin, ne dit-on pas « Araignée du soir, espoir » ?





lundi 25 décembre 2017

Haute-Loire en relief plastique

Je vais pouvoir frimer à fond. Le Père Noël m'a apporté une carte de la Haute Loire en relief. Je savais bien qu'il fallait continuer à y croire !

vendredi 22 décembre 2017

cartographie # 5 collection de pierres #2

Je ne ramène plus de Pierre à la maison pas plus que d'Agathe ou de Ruby. Les dernières étaient des Pierre F, "eff" comme effacer. Les pierres restent où elles sont, et je les laisse à leur destin. Je ne fais pas non plus comme Gilles Clément à aller les remettre là où elles ont été cueillies, bien que ce soit tentant. Dans l'étagère il y a 1 bouteille de sable, d'ocre de Roussillon, qui copine près des auteurs commençant par P et ceux commençant par R, pas loin d'Elisée Reclus, Mais bien loin de ma carte, hors-champ. Pourtant ce n'est pas parce que nous sommes cantonnés à notre périmètre IGN que le reste du monde n'existe plus, que les pierres du volcan ne jaillissent pas hors du cadre, que les carrières n'épuisent pas les montagnes afin que des routes nous y amènent et fassent de jolies courbes sur les cartes : l'humain n'a de cesse que de déterrer ici pour ré-enterrer là ; mais ça ira comme ça pour les leçons de morale. Car, que ferais-je si dans ma petite Loire ou dans le ruisseau Mussic je découvrais en pataugeant des corindons et des saphirs comme on en trouve un peu plus loin, dans le Riou Pezzouliou, comme on en trouva jadis pour parer le cou de la belle Agnès Sorel ? Les pierres de ma carte font le paysage en noir et blanc. Le granite noir qui se laisse voir sur les murs rechaulées des maisons décrépies parfois, les pierres recouvertes de lichen jaune sur la ruine qui longe le cimetière. Les pierres tombales en- marbre-qui-vient-d'où ? sur lesquelles sont écrits en or le nom des habitants du dessous, le gravier blanc des tombes, sur lesquelles on dépose quelques fleurs en céramique si magnifiquement rouges. De la collection de pierres, je passe aussitôt à la collection de cochons, parce qu'en patois des hauts plateaux, le cochon jeune se dit caïou, et que ça se mélange bien dans ma bâtée, où je filtre la poudre d'or dans le sable, la poudre aux yeux dans les mensonges et les mystères qu'on met une génération ou 2 à découvrir. 
Puis je passe à la collection d'arbres, un noyer au-dessus de la maison du Chier à qui il fallait rendre visite à l'automne pour récolter les noix, mais que l'on trouvait déplumé tandis que les habitants permanents se régalaient derrière leur fenêtre. De cet arbre unique et solitaire, je ne puis faire qu'une piètre collection, alors je remonte dans mon arbre généalogique, plein de pierres et de Rocher Roche et duquel je guette, la dernière pierre. Je vous tiens au courant.












mercredi 20 décembre 2017

Collection 2


Comme son cousin le crapaud, la salamandre est discrète, fragile, insaisissable. Elle est de ces êtres fugitifs qui se cachent et se faufilent. Ces animaux furtifs et pourchassés font depuis longtemps partie de mon bestiaire personnel. Depuis toujours, ils observent immobiles et silencieux. Elle, avec sa peau lisse et luisante, la salamandre tachetée, se rencontre rarement. Elle vit dans les cachettes humides, dans les murs, les interstices, entre les blocs de pierre, toujours près d'un point d'eau. Dans ce recoin, sous la citerne de récupération de l'eau de pluie - rares alors étaient les maisons qui étaient reliées à un réseau de distribution d'eau - dans un renfoncement, il y avait un bassin ; on y faisait la lessive. Les salamandres s'y plaisaient. Elles s'y cachaient et ne sortaient qu'à la tombée de la nuit peut-être parce qu'elles sont si lentes à se déplacer. Je ne sais si c'est la beauté de leurs taches jaune-vif ou oranges qui me fascinaient tant ou l'humidité luisante de leur peau lisse et très noire, leurs gros yeux noirs ou leur immobilité. Comment peut-on être si belles et être traitées de bêtes immondes ?


Parfois, près du bassin, c'est sa mue que je trouvais à terre et cachais comme un trésor dans mon Petit Larousse. Là, dans ce coin sombre et bien à l'abri des gelées, elle hibernait et sans doute changeait-elle d'habit au printemps.
Toutes les légendes qui l'entouraient me la rendait encore plus chère. Ma grand-mère racontait qu'elle pouvait traverser le feu sans se brûler. Beaucoup plus tard, je la retrouvais flamboyante dans les bestiaires médiévaux, et même royale dans les armoiries de François 1°. Le mythe la disait porteuse de destruction et de renaissance et si elle avait accès à ces coins sombres où nul humain ne peut aller, si ses couleurs étaient de feu, n'est-ce pas qu'elle avait aussi accès à ce qui est au-delà des apparences ? Mon père les capturait et les mettaient dans un bocal transparent pour effrayer les femmes avec qui il travaillait. Ma colère était sans borne. Comment pouvait-on se servir d'elle, elle si fragile, si vulnérable, chair à nu sans squelette, inoffensive ?



Quand, exceptionnellement je l'apercevais, allongée tout au fond du recoin du bassin, je retenais mon souffle. L'instant était exceptionnel : nous deux, immobiles-silencieuses, complices d'un instant unique d'où l'éternité surgissait. Le temps s'arrêtait. A ce lieu précis et à cet instant-là, l'instant et l'éternité fusionnaient. La petite fille éperdue qui la contemplait aurait-elle survécu sans ces lieux de vie secrète ? En la regardant, fascinée, elle voyait les strates du temps, séparées en lamelles parallèles et non plus en séquences se déroulant les unes après les autres. Elle pénétrait dans l'épaisseur du temps permettant de vivre tous les temps simultanément.
Je n'en ai plus vu depuis cette lointaine époque. On dit qu'elles sont en régression constante, que le recul des zones humides, les insecticides …








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mardi 19 décembre 2017

du dedans, du dehors

Il y a collection de pierres mêlées dans la soucoupe

celles du dehors
celles du dedans

Quand le brouillard submerge le paysage
 quand le chemin se perd sous l'épais magma de neige
la pierre du dehors
résiste à la nuit
sonne en trébuchant dans le cours d'eau, se fracasse avec l'avalanche, crisse avec le pierrier.

Elle a eu le temps d'incorporer les fantômes
pilotes d'avion écrasé sur la montagne
migrants morts de froid
alpinistes

Que de présences dans la chair pierreuse banalement ramassée, ignorée, injuriée quand le pied chancèle.

Pierre-paysage, pierre de rêve, pierre de petit poucet, pierre de rien.

Et puis il y a la pierre du dedans
 à fleur de faille
recouverte par des strates boueuses et carbonifères
Pierre d'un passé inachevé
lambeau d'étoile ou étoffe de ferrailles
cambouis recraché par les plaques tectoniques.

On la devine, on l'arrache de la roche, on la frotte, on la brise parfois.
De cet ultime fracas, émerge de temps en temps un joyau cristallin
 si limpide que l'on croirait saisir à pleine main l'eau prisonnière d'une coquille de verre.

A moins que la brisure la rende au sable mouvant.

Cartographie #0 premier jet de pierres


cartographie #0 D'une pierre 2 coups : Ruisseau et collection de pierres


Dans ce petit ruisseau qui se jette dans la Borne près du Puy, on trouvait des pierres précieuses

lundi 18 décembre 2017

attention aux libellés !

Excusez- moi, mais pouvez-vous choisir le libellé "atelier 2017-2018" (sans majuscule et pas atelier 2017-18 ni Atelier 2017-2018) ça fait des doublons !
Pareil avec consigne Laura (y en a trois différents) : toujours prendre celui qui en a le plus, ça en fait moins à corriger après)
et "chemins de traverse" plutôt que chemins de traverses.
En fait, il faut commencer à taper le libellé, attendre une seconde que ça s'affiche et choisir celui qui a le plus grand nombre d'articles s'il y en a plusieurs. Si vous en créez un nouveau mettez une virgule, pas un point.

cartographie #5 Etre pierre et surtout, ne plus l'être



dimanche 17 décembre 2017

Collection 1

Cartographie #5

« Il » se tenait près du tas de fumier ou dans l'écurie. « Il » c'est le crapaud, marron, trapu, le corps recouvert de pustules, deux yeux proéminents à pupilles horizontales.




 « Il » restera un « il » car le crapaud, déjà à cette époque que je situe vers mes 7/8 ans, âge auquel je me souviens « avoir pensé », ne peut être un « Je ». A travers lui, quand je le regardais, me regardait une multitude d'êtres, tous ces êtres de l'obscurité, maudits par les humains, porteurs de soit-disant malédictions, ceux dont les humains ont peur et qu'ils clouent sur les portes des granges. Moi, je savais bien que je ne pouvais pas être de ce côté-là, que les yeux de cette multitude qui me fixait étaient aussi les miens, que j'y étais incluse, que je sortais de là. Au travers de lui, me parlait la nature toute entière, l'oubliée, la méprisée, la piétinée, la non-regardée. Les herbes aussi, les cailloux, l'eau stagnante ou murmurante.
Le crapaud était un corps, un corps massif, dense, à la densité de pierre, à l'immobilité de pierre, un corps vivant, palpitant, je le voyais sur ses flans se gonflant et se dégonflant.. Le corps c'est là que tout passe, le lieu de toute désespérance, de toute souffrance, de toute jubilation. S'il est ce lieu où tout se passe, c'est qu'il dispose du temps, le temps de naître, de vivre, de mourir. Hors de lui, point de temps, mais une éternité sans repères. Il était un corps, il était la vie, il était le temps qui a besoin d'une vie pour s'écouler. Il débordait.




Le soir quand je le rencontrais, accroupie à son niveau pour aller pisser près du tas de fumier, il me regardait, mon regard dans le sien creusait, s'engouffrait, sans fin, sans fond, sans s'y perdre, il n'était pas un puits sans fond, il était ma pensée qui s'éveillait au monde, à sa profondeur vertigineuse, à tous les mystères que je pressentais. Regardant mon père ou mes frères, mes pensées n'étaient que de compassion « Moi, je pensais, je pensais des choses sur eux et eux ne le savaient pas. Eux, étaient juste là, sans le savoir » pensais-je ...Le « il » du crapaud ne se heurtait pas à ma conscience naissante, il l'emmenait vers des abîmes ouvrant à la nature entière. Ce « il » en retrait était don, ouverture, je le sentais.

« Il » n'était pas le seul, il y avait aussi la salamandre jaune et noire, l'araignée qui tissait sa toile ou descendait sur son long fil pour, du plafond, nous regarder dormir, le lézard dont la queue repoussait, l'orvet argenté dormant dans l'herbe, la chauve-souris qui se réveillait à la nuit tombée et demeurait invisible pendant la journée, les sangsues sortant du robinet et que ma grand-mère apprivoisait puisqu'elle les collait sur le dos nu de mon grand-père, les souris qui faisaient rouler les grains de blé toute la nuit dans le grenier mais qu'on ne voyait jamais et sans doute beaucoup peuplant la nuit et dont seul l'éclair d'une pupille au clair de lune pouvait laisser deviner la présence. Ils étaient tous de nuit, issus de la nuit, la grande pourvoyeuse de vies, même ceux que l'on pouvait voir au grand soleil car il suffisait d'un minuscule mouvement pour qu'aussitôt ils disparaissent dans leur trou de nuit, indénichables. Certains étaient à plume, telle l'effraie qui lançait son cri certaines nuits dans le grand chêne du chemin.

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jeudi 14 décembre 2017

Cartographie 5

Nous poursuivons notre errance dans les linéaments du projet Cartographie. Voici quatre extraits des textes proposés pour s'inscrire dans les mots et un certain horizon.


Lionel Bourg pour commencer et l'incipit de Mortes pierres:
J’aime les pierres.
Depuis l’enfance, (...) je n’ai cessé d’en chérir le grain ou d’en caresser presque amoureusement les cassures, goûtant à leur contact beaucoup plus qu’une peau, beaucoup plus qu’une forme, de sorte que toute expression de ma sensibilité revêt encore sans que j’y puisse rien, l’aspect de quelque sombre magma ou d’une invraisemblable triperie minérale, mes angoisses, mes obsessions aussi, s’inventant dans cette mixture de lave et d’organes un corps différent de celui que je ne parvins jamais à vraiment habiter.....

Roger Caillois: L'apostat, Prologue à pierres réfléchies:

Les pierres, ici, sont parfois objets de contemplation, presque supports d’exercice spirituel. Je ne les regarde ni dans leurs dimensions ni dans leurs qualités. Je ne m’attache qu’à leur apparence, qui est d’elles à peu près tout ce que je sais et tout ce que j’en perçois. Comme les anciens Chinois, je suis porté à considérer chaque pierre comme un monde.....

 Georges Didi-Huberman: Ecorces

J’ai posé trois petits bouts d’écorce sur une feuille de papier. J’ai regardé. J’ai regardé en pensant que regarder m’aiderait peut-être à lire quelque chose qui n’a jamais été écrit. J’ai regardé les trois petits lambeaux d’écorce comme les trois lettres d’une écriture d’avant tout alphabet.....



Italo Calvino: Collection de sable

Il existe une personne qui fait collection de sable. Elle voyage à travers le monde, et lorsqu’elle arrive sur une plage au bord de la mer, sur les rives d’un fleuve ou d’un lac, dans un désert ou une lande, elle ramasse une poignée de sable et l’emporte avec elle. Sur de longues étagères, à son retour, l’attendent des centaines de flacons de verre alignés dans lesquels le sable fin et gris du Balaton, celui très blanc du golfe de Siam, celui, rouge, que le cours de la Gambie dépose à travers le Sénégal déploient leur gamme étroite de couleurs estompées, révèlent une uniformité de surface lunaire, bien qu’à travers des différences de grain et de consistance : du gravillon noir et blanc de la mer Caspienne qui semble être encore trempé d’eau salée aux tout petits cailloux de Maratea, noir et blanc eux aussi, à la fine farine blanche piquetée de coquilles violettes de Turtle Bay, près de Malindi au Kenya....

La consigne : commencer une collection d'écriture ( au moins quatre....mais une collection est  un travail sans fin...!) de pierres, d'arbres, de plantes, d'animaux (en lien avec sa carte bien sûr) . En faire retentir toute la densité. Pour les passionnés, on peut mener de front plusieurs collections !!!!!!!!

mercredi 13 décembre 2017

cartographie #4 Ruisseaux : de la sérendipité

Je redéplie la carte. Je suis avec mon doigt le courant de la Loire, Je rêve d'aller à travers la montagne, dans un mouvement sans repos, à la naissance de ce cours d'eau, à la fin, le plus long fleuve de France. J'essaie d'aller au plus près de la source, mais le périmètre imparti ne remonte pas aussi haut, ce haut étant impropre puisque la source, si la carte se continuait, serait plus bas sur le papier, plus au Sud Est. Tant pis. J'explore, ce faisant, chaque carré, ça me rappelle quand je nettoie un à un chaque carrelage de ma cuisine, comme dans une espèce de rituel, de tentative Zen. Je m'arrête en général au 6ème carreau, les limites de ma zénitude étant vite atteintes. Tout comme celles de ma carte IGN. Là, aujourd'hui, dans le carreau 4970-4969 je découvre une autre pièce du puzzle, un nom que je cherche depuis longtemps, celui de jeune fille de ma mère "MASCLAUX". Deux carrés plus à l'Est, séparé par La Cote de la Pierre se trouve Pra REDON. C'est l'histoire de l'infini. Des éléments primitifs. Comme pour la Loire, on cherche sa source et on en découvre 3 autres, on a beau modifier l'aspect et la position de la gouttelette imperceptible, on revient toujours à ce périmètre, 5 ou 6  carrés passés au peigne fin, à cette eau originelle dont je suis faite qui combien de fois coula sous les ponts, combien de fois retomba en pluie, pour être à moi destinée, parmi des milliers de gouttelettes ? C'est de ce courant que je suis née, de ce granit et de ces lointains bleusDans ce carré-ci, la Loire a pour affluents le ruisseau de l'Holme et celui des Fouragettes. Je remonte vers mon Chier et mon Champinet. La rivière dont je parlais n'était pas encore la Loire, c'est le Ruisseau de Mussic. Je retrouve une photo de ce ruisseau qu'on enjambe d'un seul pas, avant qu'il ne se perde entre les hautes murailles de la forêt. à suivre...

la Charpassonne



Apparemment, c’est du côté de la Chaussonnière, sur le plateau, que s’agrippe la genèse de la Charpassonne. Nous, nous ne le savions pas, et pourtant, nous avions tant rêvé de remonter jusqu’à sa source le courant de ce que je nommerais aujourd’hui ce grand ruisseau, mais qu’à l’époque nous n’étions pas loin de nommer « le fleuve »…
Mais serait brisée la magie de ce courant bleu, aussi malicieux que la sonorité de son nom, éparpillant çà et là sa mousse d’albâtre sur les rochers glissants.
Notre imaginaire enfantin, nourri par les quelques coudes et circonvolutions que nous connaissions,  la devinait serpentine. Ce que nous pressentions se confirme sur le tracé de la carte d’état-major. Elle quitte les hameaux de chez Paradis et Pantalon, pour se glisser, mystérieuse et riante, fière de nous échapper, lascive et impatiente sans doute de retrouver son cours tranquille, loin des cris aigus et dispersés de notre petite troupe d’enfants, sortie tout droit de la Guerre des Boutons. Nous étions surexcités, et étonnés par ses doigts glacés qui nous enserraient les mollets si fort, que nous regardions, sidérés, la marbrure violacée de nos cuisses.
Si nous avions remonté le courant, nous l’aurions longée, les pieds sur terrain sec et stable, nous serions partis de la Valette en gravissant les pentes escarpées, nous accrochons aux branches des genêts, nous aurions feint d’ignorer avec un certain dédain le ruisseau de la Charmette se jeter en confluence dans notre Charpassonne à nous…