Maisons de pierres:
La
rock-star américaine Patti Smith, admiratrice d'Arthur Rimbaud, a
acheté une maison construite sur les ruines d'une ferme ayant
appartenu à la famille du poète à Roche, dans les Ardennes.
Depuis
le 7 octobre 1877, la maison du Châpre appartient à mes ascendants.
Elle a été achetée à Géromme Roche, épicier du village. Mon
arrière-grand-père l’a acquise en vue de son mariage avec Julie
Roche, née dans un hameau, à Durand, près du château de
Chalencon. Lors de son agrandissement, il a fait graver son nom sur
une pierre de granite tout en haut: PORTE. L’inscription se
distingue encore pour un œil averti Jusqu’au début du XX ème
siècle huit personnes vivront là ainsi que quatre vaches. Sur la pierre de
seuil, on s’installe pour les photos gardiennes de souvenirs;
lorsque les travaux de réfection du chemin passant devant la maison
seront entrepris, la pierre sera ôtée pour la remplacer par un
étroit trottoir. Au dos de celle-ci, on découvrira alors une croix
sculptée en relief, témoin de la période où cette dalle devait se
trouver dans l’ancien cimetière. Quel sommeil éternel a-t-elle
protégé ? Retournée , croix en miroir du ciel , elle a trouvé
place dans le petit jardin où nul ne git sous son ombre hormis des
souvenirs.
Maison
en granite, comme toutes les maisons anciennes de ce village, long
vaisseau de pierres au passé présent, dressé au bord du
chemin qui grimpe doucement vers le rocher îlot où l’enfance
s’est gravée. Dans ce que je nomme encore la grange et qui est un
grand salon , à l’angle d’une fenêtre avec le mur , à un
certain instant du coucher de soleil en été, une pierre s’illumine
et se façonne en visage de vieil homme. Magie de la lumière
creusant les reliefs de la roche dont j’attends le rendez-vous. En
ce visage fugitif, d’un éclatement fauve, se confondent les images
de tous ceux qui ont respiré et espéré là entre ces murs épais,
laissant la trace de leurs rêves logés entre les pores de la pierre
d’angle.
une
silhouette de pierre encapuchonnée
se
dessine quand le soleil s'abandonne
au-delà
du voilage:l'invisible palpite
alors
dans les danses des ombres.je ne
vois
pas et puis je vois le spectre au
visage
de crépuscule figé sans souffle
mais
avec toutes les voix jaillies des
murmures
qui suintent encore du granit
de
ces murs. je ne vois pas et puis je
vois
le spectre dans sa pose théâtrale
drapé
de cette suffisance de celui qui
sait
et qui nous l'avait bien dit même
si
on n'écoutait pas.les yeux happés à
l'intérieur
vers cette noirceur froide
le
spectre s'efface en silence.je vois
et
je ne vois plus: le mur me rend mon
souffle
quand la lumière s'éteint.cela
s'éloigne
et articuler se peut même si
les
mots sont de cendre et je ne dirai
pas
de nom sur cette image qui s'en va
Et
de pierre en écho, mon esprit vogue vers une autre maison de pierres
, celle de Durand où naquit mon arrière-grand-mère, près de la
rivière l’Ance et où je vais de temps en temps voir les amis qui
ont racheté ce lieu; et le bonheur simple de savoir que là dans le
hangar attenant, mon amie sculptrice trouve l’inspiration pour
créer des statues en terre qui
donnent à voir, au-delà des paupières closes , un souffle qui
affleure.
Deux
maisons nobles où ont vécu ceux qui ont permis que je sois. Pierres
qui épousent les siècles, les lames de ciel au-dessus, et couvrent
les murmures des ancêtres sous leurs sépulcres perdus.