mercredi 20 décembre 2017

Collection 2


Comme son cousin le crapaud, la salamandre est discrète, fragile, insaisissable. Elle est de ces êtres fugitifs qui se cachent et se faufilent. Ces animaux furtifs et pourchassés font depuis longtemps partie de mon bestiaire personnel. Depuis toujours, ils observent immobiles et silencieux. Elle, avec sa peau lisse et luisante, la salamandre tachetée, se rencontre rarement. Elle vit dans les cachettes humides, dans les murs, les interstices, entre les blocs de pierre, toujours près d'un point d'eau. Dans ce recoin, sous la citerne de récupération de l'eau de pluie - rares alors étaient les maisons qui étaient reliées à un réseau de distribution d'eau - dans un renfoncement, il y avait un bassin ; on y faisait la lessive. Les salamandres s'y plaisaient. Elles s'y cachaient et ne sortaient qu'à la tombée de la nuit peut-être parce qu'elles sont si lentes à se déplacer. Je ne sais si c'est la beauté de leurs taches jaune-vif ou oranges qui me fascinaient tant ou l'humidité luisante de leur peau lisse et très noire, leurs gros yeux noirs ou leur immobilité. Comment peut-on être si belles et être traitées de bêtes immondes ?


Parfois, près du bassin, c'est sa mue que je trouvais à terre et cachais comme un trésor dans mon Petit Larousse. Là, dans ce coin sombre et bien à l'abri des gelées, elle hibernait et sans doute changeait-elle d'habit au printemps.
Toutes les légendes qui l'entouraient me la rendait encore plus chère. Ma grand-mère racontait qu'elle pouvait traverser le feu sans se brûler. Beaucoup plus tard, je la retrouvais flamboyante dans les bestiaires médiévaux, et même royale dans les armoiries de François 1°. Le mythe la disait porteuse de destruction et de renaissance et si elle avait accès à ces coins sombres où nul humain ne peut aller, si ses couleurs étaient de feu, n'est-ce pas qu'elle avait aussi accès à ce qui est au-delà des apparences ? Mon père les capturait et les mettaient dans un bocal transparent pour effrayer les femmes avec qui il travaillait. Ma colère était sans borne. Comment pouvait-on se servir d'elle, elle si fragile, si vulnérable, chair à nu sans squelette, inoffensive ?



Quand, exceptionnellement je l'apercevais, allongée tout au fond du recoin du bassin, je retenais mon souffle. L'instant était exceptionnel : nous deux, immobiles-silencieuses, complices d'un instant unique d'où l'éternité surgissait. Le temps s'arrêtait. A ce lieu précis et à cet instant-là, l'instant et l'éternité fusionnaient. La petite fille éperdue qui la contemplait aurait-elle survécu sans ces lieux de vie secrète ? En la regardant, fascinée, elle voyait les strates du temps, séparées en lamelles parallèles et non plus en séquences se déroulant les unes après les autres. Elle pénétrait dans l'épaisseur du temps permettant de vivre tous les temps simultanément.
Je n'en ai plus vu depuis cette lointaine époque. On dit qu'elles sont en régression constante, que le recul des zones humides, les insecticides …








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4 commentaires:

Lìn a dit…

crapaud et salamandre pourraient devenir des personnages dans les prochaines "consignes"?

MarieBipe REDON a dit…

à un moment j'ai confondu ta grand mère et la salamandre. j'ai lu que c'était elle qui traversait le feu sans se brûler et était flamboyante. je me demande ce qu'il y a de vrais dans ce lapsus des yeux!

Ange-gabrielle a dit…

Oui, effectivement en relisant c'est ambigu. La lecture l'est et cette grand-mère aussi qui avait quelque chose d'ignifuge, sortant indemne de bp de situations. Je retrouve certains de ces traits chez moi, chez mon fils. Les lignées perdurent inscrites dans les gènes comme les sentiers sur la terre

Michelangelo a dit…

C'est une véritable expérience (mystique ou spirituelle?) que vit la petite fille, cette prise de conscience de l'autre, de soi et d'être parties d'un même ensemble, qui seul donne accès au point de vue de dieu, pour qui tous les temps sont simultanés.
Ça me renvoie confusément à des expériences que j'ai vécues; mais c'est une autre histoire que de le relater avec autant de clarté.