Comme son cousin le
crapaud, la salamandre est discrète, fragile, insaisissable. Elle
est de ces êtres fugitifs qui se cachent et se faufilent. Ces
animaux furtifs et pourchassés font depuis longtemps partie de mon
bestiaire personnel. Depuis toujours, ils observent immobiles et
silencieux. Elle, avec sa peau lisse et luisante, la salamandre
tachetée, se rencontre rarement. Elle vit dans les cachettes
humides, dans les murs, les interstices, entre les blocs de pierre,
toujours près d'un point d'eau. Dans ce recoin, sous la citerne de
récupération de l'eau de pluie - rares alors étaient les maisons
qui étaient reliées à un réseau de distribution d'eau - dans un
renfoncement, il y avait un bassin ; on y faisait la lessive. Les
salamandres s'y plaisaient. Elles s'y cachaient et ne sortaient qu'à
la tombée de la nuit peut-être parce qu'elles sont si lentes à se
déplacer. Je ne sais si c'est la beauté de leurs taches jaune-vif
ou oranges qui me fascinaient tant ou l'humidité luisante de leur
peau lisse et très noire, leurs gros yeux noirs ou leur immobilité.
Comment peut-on être si belles et être traitées de bêtes immondes
?
Parfois, près du bassin,
c'est sa mue que je trouvais à terre et cachais comme un trésor
dans mon Petit Larousse. Là, dans ce coin sombre et bien à l'abri
des gelées, elle hibernait et sans doute changeait-elle d'habit au
printemps.
Toutes les légendes qui
l'entouraient me la rendait encore plus chère. Ma grand-mère
racontait qu'elle pouvait traverser le feu sans se brûler. Beaucoup
plus tard, je la retrouvais flamboyante dans les bestiaires
médiévaux, et même royale dans les armoiries de François 1°. Le
mythe la disait porteuse de destruction et de renaissance et si elle
avait accès à ces coins sombres où nul humain ne peut aller, si
ses couleurs étaient de feu, n'est-ce pas qu'elle avait aussi accès
à ce qui est au-delà des apparences ? Mon père les capturait et
les mettaient dans un bocal transparent pour effrayer les femmes avec
qui il travaillait. Ma colère était sans borne. Comment
pouvait-on se servir d'elle, elle si fragile, si vulnérable, chair à
nu sans squelette, inoffensive ?
Quand, exceptionnellement je
l'apercevais, allongée tout au fond du recoin du bassin, je retenais
mon souffle. L'instant était exceptionnel : nous deux,
immobiles-silencieuses, complices d'un instant unique d'où
l'éternité surgissait. Le temps s'arrêtait. A ce lieu précis et à
cet instant-là, l'instant et l'éternité fusionnaient. La petite
fille éperdue qui la contemplait aurait-elle survécu sans ces lieux
de vie secrète ? En la regardant, fascinée, elle voyait les strates
du temps, séparées en lamelles parallèles et non plus en séquences
se déroulant les unes après les autres. Elle pénétrait dans
l'épaisseur du temps permettant de vivre tous les temps
simultanément.
Je n'en ai plus vu depuis
cette lointaine époque. On dit qu'elles sont en régression
constante, que le recul des zones humides, les insecticides …
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4 commentaires:
crapaud et salamandre pourraient devenir des personnages dans les prochaines "consignes"?
à un moment j'ai confondu ta grand mère et la salamandre. j'ai lu que c'était elle qui traversait le feu sans se brûler et était flamboyante. je me demande ce qu'il y a de vrais dans ce lapsus des yeux!
Oui, effectivement en relisant c'est ambigu. La lecture l'est et cette grand-mère aussi qui avait quelque chose d'ignifuge, sortant indemne de bp de situations. Je retrouve certains de ces traits chez moi, chez mon fils. Les lignées perdurent inscrites dans les gènes comme les sentiers sur la terre
C'est une véritable expérience (mystique ou spirituelle?) que vit la petite fille, cette prise de conscience de l'autre, de soi et d'être parties d'un même ensemble, qui seul donne accès au point de vue de dieu, pour qui tous les temps sont simultanés.
Ça me renvoie confusément à des expériences que j'ai vécues; mais c'est une autre histoire que de le relater avec autant de clarté.
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