Rocher de la Moutière:
La mer n’était
pas là; mais il y avait une île. Un îlot gris à la lisière de
l’au-delà. Un grand corps de pierre empli de feldspath, de mica et
de quartz. Un rocher de granite dormant au bord d’un pré. D’un
côté un chemin de sable et de pierres — tu me l’as dit : il
y a des jours de pierres et des jours de sable — surmonté d’un
pré légèrement pentu chapeauté d’une forêt de pins. De l’autre
côté – devant lui – une prairie en pente douce où poussent
mousserons et roses des prés dans les bonnes années, puis la pente
s’intensifie et c’est le chemin d’en bas qui suinte un peu plus
loin dans la forêt où naît le ruisseau du Moulinet. Devant lui:
un rocher est-il orienté ? A-t-il un dos et une face? Etant
toujours assise sur cette rugosité face à la pente, le regard
ricochant sur l’autre versant où s’entrelacent les mêmes
silences mais que je ne peux m’empêcher de balayer d’un regard
d’enfant. La paume de la pierre pétrie d’une moisson de lichens
safranés caresse ma main qui hésite avec une poignée de mousse
sombre et rase — tu me l’as
dit: on ne gratte que des surfaces — .
Les pieds sertis dans la cupule, je reste dans cette
immobilité sereine, en méditation sans le savoir. D'un
regard circulaire je bois jusqu'à la lie ce paysage où mes yeux
ricochent de collines d'écume en forêts de vent et de sentiers
d'ombres en poussières d'étoiles, et reviennent s'accrocher aux
branches mortes de l'arbre qui se tient ferme au milieu du pré,
portant avec noblesse tous ceux qui ne sont plus : à leur
souvenir , je baisse un peu les yeux —
tu
me l’as dit : rien ne presse —.
Les légendes
autour des cupules, ces cavités dans les gros rochers de granite,
racontées avec un petit air de mystère: pierres de sacrifice où
l’on immolait des hommes – enfants – en sacrifice à un dieu
avide de sang…. et j’ai le souvenir de cet allongement sur la
roche – une autre que celle-ci – les bras en V et le malaise qui
en suivit. Les pierres liées au monde surnaturel depuis la nuit des
temps: pierres levées, monolithes, mégalithes...pierres qui sonnent
et résonnent…. pierres tombales…. comme un appel au
dépouillement, à ce qu’il y a de plus sacré en soi...
Rocher de la
Moutière, où sont celés mes souvenirs , — tu me l'as dit: je me souviens de tout le monde même de ceux qui sont partis — dont je caresse à chaque
passage la texture rugueuse et grenue, les yeux rivés vers les
lointains. Îlot d’enfance protégé , bordé de nostalgie et de
grandes marges de silence. Peu
de choses ont changé au fil de ces années, quelques arbres en
moins, quelques maisons de plus, et toujours ces grosses pierres en
granite qui ourlent le contour de l'étoffe verte. Je sais que c'est
là qu'est né ce regard décalé que je pose sur les espaces, sur
les plis, les parenthèses, les visages et les ciels qui se consument
devant moi. Sur le miroir du soir et sur les bleus des aubes.
1 commentaire:
magnifique, et j'ai appris un mot : cupule (à garder !!!)
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