Le vertige,
c’est apprivoiser une nouvelle disposition du monde où
les attaches, les liens et avec eux, le centre névralgique de ces
liens sont sans cesse en mouvement, détruits ou déplacés. Camille
de Toledo
Un creux d’herbe
et de pierres, là près du pont aux deux arches, là où se
conjuguent les reflets du versant qui fait face, dans cet équilibre
fragile très vite menacé; prendre le temps dans les entrelacs d’eau
vive, saisir la sonnaille des feuillages rassemblés en un brouillon
auprès des pierres de silence, ne plus voir l’eau mais ce qu’elle
donne à être, ce qu’elle délivre des secrets qui dorment entre
ses gouttes mariées aux promesses de l’air; tenir le vertige à
distance respectable, accorder son regard à l’étrange tendresse,
un peu sauvage, un peu diabolique qui jaillit de ces eaux ; cueillir
ce qui s’évade sans bruit de ce songe éveillé, rendre hommage
aux hélices de lumière , aux épousailles d’ombres quand se
dérobent les entailles d’un passé que l’on ne sait pas et que
l’on réinvente avec des mots imparfaits. Revenir sur ses pas,
aller sur le pont de pierres séculaires - le pont du diable - fouler
les dalles usées par tant de piétinements , le cœur battant très
vite, s’éloigner du vertige des signes et grimper au château qui
surplombe la vallée ; ne plus voir la rivière mais l’entendre
vers l’amont se gargariser d’une voix rauque de paroles où
s’exalte une palette de sons étranges et envoûtants. Elle est là
, rétrécie et noire, secrète entre les falaises de feuillus qui la
cachent au regard, elle déboule dans l’inconnu , apprend des
ronces et des arbres ce qu’elle doit savoir, avant d’être happée
quelques kilomètres plus bas . Vers l’aval, avant que l’Ance ne
soit plus, il y a quelques plages de sérénité où le souvenir de
sculptures à demi immergées flotte encore en moi: une installation
éphémère qu’un violent courant emporta – l’exposition venait
de s’achever – . Le regard noyé scrute sur la carte le cours de
l’eau quand l’Ance s’élargit et sinue en arabesques sages
baignant quelques hameaux: le Plot, la Villette, le Galy, le Theil,
Chizeneuve , le Vert où l’Andrable l’épaule et emmêle ses
eaux, et nourrie encore de quelques rus, elle finit son périple à
l’amont de Bas-en-Basset quand la Loire l’engloutit. Entre la
source et la confluence, elle laisse des copeaux d’images
s’accrocher aux regards, des rêveries s’enjoliver entre ses
rives, des solitudes s’épouser dans des recoins d’ombres, les
terres se baigner d’infini et les silences se nourrir de son chant.
1 commentaire:
Ces têtes comme des mémoires flottantes qui nous fuient quand la vieillesse arrive, comme les souvenirs qui s'évanouissent ... Je me souviens quand sur "Jardin d'ombres" ces images avaient parues. Si tes mots sont imparfaits, quels mots alors ?
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