lundi 8 janvier 2018

# 5 - Arbres collecés.

     Il est de ces endroits comme des châteaux d'eau, les souliers s'enfoncent dans la mousse spongieuse, les champignons baignent dans un humus nourrissier; , à fleur de sol, le peuple de la Terre se régale, s'émerveille et puis se dévore lui-même. Ici la forêt est en pente. Le boisement s'insinue de rivière à ruisseau, dévale du plateau jusqu'au fond de la vallée. Pénétrer dans ces futaies épaisses c'est partir un peu à l'aventure, devenir le Livingstone du Bois de Jagonard. Des sapins hauts et droits comme des généraux en retraite, sévères dans leur allure, sévères dans leur tenue. La vareuse vert sombre, le pantalon d'écorce marron-brun malmené, égratigné de mots d'amours éphémères ou de cœurs maladroits. Des  "Je t'aime pour la vie" sérieusement entachés par  les coups de becs multiples et besogneux. Des pins qui se fraient un chemin pour exister. Moins d'ordonnancement car pour voir le soleil, leur corps est de guingois , leurs bras sont distendus et leur tête se penche pour forcer le passage qui mène à la lumière. Persévérants ils sont, résistants, les racines cachées dans la terre de leur histoire et le faîte perdu dans les étoiles. Je ne sais pas distinguer les épicéas des douglas. Même ici c'est la bataille des Anciens contre les Modernes, la guerre  de la nouvelle ère éco-énergétique.
     Plus loin, une trouée, une clairière où pullulent les ajoncs, les hautes herbes indomestiquables et  indomestiquées. A leur lisière, quelques sorbiers qui deviendront rouge-sang à la fin de l'été, quelques bouleaux contemplatifs et des sureaux calomnieux pas encore en fleurs, ni blancs ni lie de vin en attente de couleur. Et puis des hêtres et des frênes fougueux et amuseurs.
     J'aimerais me glisser entre l'écorce et le bois des grands arbres, m'immiscer dans l'intime de leur existence, respirer à leur rythme, goûter à leur vie et peut-être ainsi ralentir la mienne, faire de leur pensée ma pensée, de leur Esprit mon Esprit. J'aimerais me revêtir de leurs écorces, calquer mon corps à leur tronc, disparaître sous ce déguisement rugueux mais sensuel, devenir la femme-arbre, palpiter aux saisons, être ne serait-ce qu'un temps Membre de la forêt.


3 commentaires:

MarieBipe REDON a dit…

chiche !

Laura-Solange a dit…

"devenir le Livingstone du Bois de Jagonard" Cet été je partirais bien dans le bois de Jagonard!!!

Ange-gabrielle a dit…

Je te reconnais tout à fait dans ce désir d'arbre, dans cette sensualité à fleur d'écorce, dans cette femme-arbre