La Gèle, comme chaque
matin est assise derrière la « rase » en champ ses
chèvres. Enorme, d'un âge indécis, un minuscule chignon gris
entortillé comme un écheveau de laine derrière la tête, elle
tricote. La petite a hâte de terminer son petit déjeuner pour la
rejoindre.
Elle est sur le seuil de
sa porte de bois vermoulu et tripote en parlant les longs poils
qu'elle a au menton. Elle est si âgée que lorsque les voisins ne
l'ont pas vue de la journée, ils croient qu'elle est morte. Elle se
plaint des enfants qui lui font constamment des farces juste pour
vérifier si son coeur va résister.
Un très bel homme passe
sur son tracteur en chemisette blancheur Persil. Quand il ne tient
pas son volant, il manie une fourche ou une pioche. Qu'est venu faire
ce parisien devenu paysan dans ce pays où depuis son installation
tous les coeurs féminins du voisinage ne battent plus que pour lui ?
Par la fenêtre ouverte,
les notes de l'accordéon d'Alphonse s'évadent en volutes. Un jour,
il offre une boîte de perles à la petite écolière en robe à
volants qui aime tant l'écouter. La mère est très mécontente.
Présent
:
Debout,
sous les deux platanes centenaires de la vieille maison de famille,
il se croit encore l'éternel adolescent auquel il rêve de rester
fidèle, malgré les ans qui s'entassent et le ventre bedonnant.
Polygamie, mensonges, longues tirades romantiques, et autres tiroirs
à double fond, alibis, ambiguïtés, sous-entendus,
chausses-trappes, doubles jeux font bon ménage avec ses rêves. Lui,
si perspicace ne voit pas la souffrance autour de lui.
Il a grossi et sait que
plus rien du charme violent qui émanait de lui quand il était
adolescent, ne subsiste. Il est dégoûté, aigri mais profère
qu'il préfère mourir comme un lion que vivre comme un pigeon. Il
tient toujours la vieille carabine.
Depuis le suicide de son
fils, elle boit. Elle se croit encore très belle. L'alcool l'aide à
se raconter des histoires.
Il y a longtemps qu'elle
a quitté le pays mais son ombre rode chaque jour dans la vieille
maison revendue il y a des années. Elle caresse les vieux murs en
pisé, colle son oreille aux murs pour y écouter les voix de jadis.
Les nouveaux propriétaires s'y habitueront-ils ?
Avenir
:
La jeune femme aime
beaucoup revenir dans le pays de son arrière grand-mère accompagnée
de l'amie avec qui elle vit depuis longtemps. Elles y entretiennent
avec amour un jardin. Les gens jasent.
Le petit garçon, brun et
vif, de huit ans ne lâche plus ses aiguilles à tricoter. De longues
écharpes multicolores s'échappent de ses mains habiles. Parviendra
t-il à recréer cent milles chemins tels que ceux qu'il a vu sur
d'anciennes cartes ?
C'est à partir de son
drone qu'il surveille ses hectares de champs travaillés par des
dizaines de robots. Il déprime et rêve aux chevaux qui tiraient la
charrue. Il n'y a personne en bas pour lever la tête et le voir
passer.
Avec ses grandes nattes
relevées sur la tête, la fillette patauge dans le Dolon. Elle
écoute la bise lui raconter d'anciennes histoires d'un temps où
vivaient ici des écrevisses. Dans ses yeux gris flottent une immense
nostalgie quand ses mains plongeant dans l'eau ne ramènent que le
vide.
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