dimanche 28 janvier 2018

Personnages et temporalité

 Passé:
1/ Ses vingt ans jetés sur l’épaule au mois d’août 1914, Alphonse marche avec quelques autres du village sur le chemin qui mène à la gare de Retournac , 15 kilomètres en aval. Il se retourne une dernière fois et voit disparaitre la pointe du clocher. Il l’enferme sous le huis-clos de ses paupières.

2/ Debout sur le seuil de la maison, les yeux portant loin ses pensées, la Durande espère. De son regard flou, elle voit une silhouette au bout du chemin qu’elle veut reconnaître comme celle de son fils. Elle reste cristallisée dans cette marge de l’attente.

3/ Séraphine cherche à décrocher un saucisson pendu à un clou d’une poutre de la cuisine. Lorsque son cousin Firmin la trouvera étendue sur le sol, elle lui dira que son fémur est à nouveau cassé. Tout vacille alors dans son regard qui se défait.

4/ Se faufilant à travers la petite ouverture de la fenêtre de sa chambre, Eugénie saute dans le jardin pour aller, après deux heures de marche, au bal à Valprivas. Au retour la musique de l’accordéon se poursuit dans ses oreilles et atténue la fatigue et les tessitures des bois sombres. Le lendemain, des barreaux de bois pousseront devant sa fenêtre.

 Présent:
1/ Au plein cœur de la nuit, la fillette se réveille avec angoisse: au pied de son lit un homme debout et une femme assise, qu’elle n’a jamais vus. Elle sait, de l’instinct qui la poursuivra tout au long de ses jours, que ce sont ses grands-parents morts depuis des années. Elle recouvre d’un drap le vertige de l’apparition. 
 
2/ Le regard du petit Tom n’en finit pas de chercher ce quelque chose qui n’en finit pas de s’échapper. Il sait les mots entendus: des phasmes qui ne sont que ce qu’ils dissimulent. Alors il cherche l’envers d’un monde visible comme le bruit sec d’une phrase.

3/ Baigné de la musique d’Arvo Pärt, l’atelier de sculptrice de Durand est à l’écoute de ses obscurités. Elle malaxe des pains d’argile, elle modèle, elle façonne, elle figure ou défigure. Et de la forme informe, naissent les fantômes du dedans.

4/ Entre deux forêts aux arbres dissemblables, la jeune femme avance, un appareil photo dans les mains. Elle est à la recherche de ce quelque chose que réclame la langue. La rencontre est intense là , au milieu du chemin, sans photo pour l’immortaliser. 
 
Futur:
1/ Tom est assis dans le jardin face au grand épicéa qu’il devra se résoudre à couper mais il en retarde l’échéance. On lui a raconté qu’il a été planté par son arrière grand-père, mais trop près de la maison qu’il menace désormais. Il y pense l’esprit brodé de réticences
.
2/ L’ombre va et vient sur le village à moitié déserté. Un enfant joue dans l’ancienne ferme de Madeleine: il est étranger – afghan, syrien, ou africain – et ouvre de grands yeux d’où se détache un monde en creux, bien loin de cette Haute-Loire. De cet arrière monde, il n’a qu’un caillou qu’il triture dans sa poche.

3/ Sur le versant opposé au château, il a le regard éclaté dans un futur qui déjà lui apparaît. Le village de Chalencon transformé en un gigantesque plateau où réaliser des jeux de rôles, et où tout se vivrait dans une réalité où le passé serait présent. Il se récite à mains nues les différentes strates du projet.

4/ Elle est en 2054 et fière de l’invention qui lui brûle les doigts. L’appareil qu’elle a conçu lui permet de faire apparaître des images issues du passé, durant quelques secondes. A la sortie du village, elle voit avec certitude une jeune femme et un cerf dans une rencontre lumineuse où l’émotion s’attarde.


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