1/ Ses vingt ans
jetés sur l’épaule au mois d’août 1914, Alphonse marche avec
quelques autres du village sur le chemin qui mène à la gare de
Retournac , 15 kilomètres en aval. Il se retourne une dernière fois
et voit disparaitre la pointe du clocher. Il l’enferme sous le
huis-clos de ses paupières.
2/ Debout sur le
seuil de la maison, les yeux portant loin ses pensées, la Durande
espère. De son regard flou, elle voit une silhouette au bout du
chemin qu’elle veut reconnaître comme celle de son fils. Elle
reste cristallisée dans cette marge de l’attente.
3/ Séraphine
cherche à décrocher un saucisson pendu à un clou d’une poutre de
la cuisine. Lorsque son cousin Firmin la trouvera étendue sur le
sol, elle lui dira que son fémur est à nouveau cassé. Tout vacille
alors dans son regard qui se défait.
4/ Se faufilant à
travers la petite ouverture de la fenêtre de sa chambre, Eugénie
saute dans le jardin pour aller, après deux heures de marche, au bal
à Valprivas. Au retour la musique de l’accordéon se poursuit dans
ses oreilles et atténue la fatigue et les tessitures des bois
sombres. Le lendemain, des barreaux de bois pousseront devant sa
fenêtre.
Présent:
1/ Au plein cœur
de la nuit, la fillette se réveille avec angoisse: au pied de son
lit un homme debout et une femme assise, qu’elle n’a jamais vus.
Elle sait, de l’instinct qui la poursuivra tout au long de ses
jours, que ce sont ses grands-parents morts depuis des années. Elle
recouvre d’un drap le vertige de l’apparition.
2/ Le regard du
petit Tom n’en finit pas de chercher ce quelque chose qui n’en
finit pas de s’échapper. Il sait les mots entendus: des phasmes
qui ne sont que ce qu’ils dissimulent. Alors il cherche l’envers
d’un monde visible comme le bruit sec d’une phrase.
3/ Baigné de la
musique d’Arvo Pärt, l’atelier de sculptrice de Durand est à
l’écoute de ses obscurités. Elle malaxe des pains d’argile,
elle modèle, elle façonne, elle figure ou défigure. Et de la
forme informe, naissent les fantômes du dedans.
4/ Entre deux
forêts aux arbres dissemblables, la jeune femme avance, un appareil
photo dans les mains. Elle est à la recherche de ce quelque chose
que réclame la langue. La rencontre est intense là , au milieu du
chemin, sans photo pour l’immortaliser.
Futur:
1/ Tom est assis
dans le jardin face au grand épicéa qu’il devra se résoudre à
couper mais il en retarde l’échéance. On lui a raconté qu’il a
été planté par son arrière grand-père, mais trop près de la
maison qu’il menace désormais. Il y pense l’esprit brodé de
réticences
.
2/ L’ombre va et
vient sur le village à moitié déserté. Un enfant joue dans
l’ancienne ferme de Madeleine: il est étranger – afghan, syrien,
ou africain – et ouvre de grands yeux d’où se détache un monde
en creux, bien loin de cette Haute-Loire. De cet arrière monde, il
n’a qu’un caillou qu’il triture dans sa poche.
3/ Sur le versant
opposé au château, il a le regard éclaté dans un futur qui déjà
lui apparaît. Le village de Chalencon transformé en un gigantesque
plateau où réaliser des jeux de rôles, et où tout se vivrait dans
une réalité où le passé serait présent. Il se récite à mains
nues les différentes strates du projet.
4/ Elle est en 2054
et fière de l’invention qui lui brûle les doigts. L’appareil
qu’elle a conçu lui permet de faire apparaître des images issues
du passé, durant quelques secondes. A la sortie du village, elle
voit avec certitude une jeune femme et un cerf dans une rencontre
lumineuse où l’émotion s’attarde.
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