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Gestes de pierres /2:
Assise
sur la pierre de seuil, celle où
la croix gravée était retournée vers les tréfonds, celle
qui désormais contemple le bleu du ciel, assise
là , après
avoir ramassé à l’aide d’une petite pelle en plastique bleu la
terre du chemin et
l’avoir
versée dans un plat à deux anses,
je faisais osciller le récipient
en
mouvements horizontaux de balancements un peu vifs, je séparais les
gros grains des plus petits. Les
gros grains étaient rejetés plus loin d’un geste sec tandis que
les plus petits étaient conservés et rejoignaient ce que je
nommais le sable
doux.
Je n’avais jamais vu de plages, ne connaissais rien des longues
dunes du désert, mais
mes doigts recherchaient le toucher de ce front de sable, cette
sensation de temps saisi, ce quelque chose que l’on passera sa vie
à chercher sans jamais être sûr de l’avoir trouvé. Ecrivant
cela, près de soixante ans plus tard, l’idée se fait jour que
c’était
un geste d’ange, qui
vous monte du dedans
s’apprêtant
à ouvrir un univers que
vous ne soupçonnez pas.
Un
peu de vertige reste accroché à ce front de sable.
J’ai
trois flacons de sable. Je
sais leur origine large, le pays d’où ils sont issus. Le plus
ancien est coulé dans un pied de lampe ayant la forme d’une main
droite dont quatre doigts sont repliés côté face et l’index se
dresse à l’arrière pour soutenir l’idée d’un miroir.; il
mesure près de quarante cm et est surmonté d’un chapeau rouge
bordeaux en forme de trapèze. Sur ce qui représente un miroir, il y
eut longtemps la photo de mes grands parents paternels avec mon père
enfant. J’ai
toujours vu cette lampe sur le bureau de mon père. Au retour d’un
court séjour en Algérie et d’une échappée dans le Sahara
– il y a plus de quarante ans – je
lui ai donné le sable rapporté dans une bouteille d’eau , Saida
peut-être. Je me souviens des grains de sable coulant
avec précaution par le goulot de la lampe et s’insinuant dans les
doigts de la main puis emplissant la partie réservée au miroir. La
lampe est restée devant lui tant qu’il a pu contempler ce
silence
opaque emprisonné dans le verre.
J’ai repris cet héritage, j’ai changé le chapeau , ôté la
photo et
ne l’ai point remplacée.
Dans le miroir de verre transparent,
je ne vois que des
grains aux
tons de gris
non uniformes me
rappelant
un souvenir inoubliable
du
désert du
Sahara. La
lampe pèse de tous ces grains agglutinés entre les parois de verre,
de tous ces grains serrés à s’étouffer. Le dos de la main , en
légère torsion, laisse imaginer un sable plus doux, plus fin que
sur le côté face toujours en évidence sur le bureau, comme si le
regard à force de s’être posé toujours sur le même angle de
vue avait noirci certains grains… Je sais aussi au bas de la lampe
une trace plus sombre de moisissure dont je ne souhaite tirer aucune
analyse. Les deux autres flacons sont plus petits et le sable qui s’y
repose m’a été offert. L’un
vient du désert d’Aden, sur des dunes foulées par Rimbaud – là
l’imaginaire pédale
à grande vitesse - : il est beaucoup plus rouge ,
plus
concentré dans un petit flacon.
A sept ans, il
faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Le
dernier flacon contient un sable d’un
rouge sombre, avec de gros grains concentrés sur un côté; il est
originaire d’Australie , je
ne sais d’où avec exactitude mais
il me fait songer aux peintures des Arborigènes dessinant les
territoires
et
les hommes qui y vécurent en des géométries où l’esprit fait
corps avec sa terre. Mon ivresse se tient dans ses flacons de sable
issu de longues érosions et qui ne révèle rien d’autre que ce
que
j’’y
apporte.
Assise
sur la pierre de seuil, celle qui a protégé des corps inconnus dans
l’ancien cimetière du village, et qui désormais recueille les
eaux de pluie dans les creux gravés entre croix et roche, et
ne fixant
rien d’autre qu’un mur de pierres élevé face à moi, je
persistais à agiter ce petit plat avec l’arène granitique
récoltée à mes pieds, à trier le sable
doux de
celui plus grossier, à éroder un florilège de grains comme
aujourd’hui je m’astreins à le faire avec des escarbilles
de
mots.
1 commentaire:
Il est des grains de sable comme une bouteille lancée à la mer; ils appellent au secours et l'imaginaire est là pour cautériser leur errance.
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