Elle parle peu, ce qu'elle veut dire, elle le fait, plutôt. Elle croit aux fées, elle va dans les bois où l'on dit qu'il y a des sabbats de sorcières. Elle passe pour une sorcière. Elle bricole des mixtures. Elle utilise les plantes qu'elle a tant regardées à l'époque des moutons et des heures de solitude au grand air. Elle ne parle pas non plus lorsqu'elle emmène ma mère, encore enfant, chez des inconnus pour qu'elle y gagne trois sous. Elle se sauve et laisse la petite fille abandonnée sans mots. Elle ne parle pas non plus à ma sœur qui vient aider son fils, notre oncle, à garder les vaches et les moutons. Elle fabrique une petite épouvante pour cette fillette de 8 ou 10 ans qui traverse seule à la nuit tombée les grands espaces plein de fées et de sorcières ombrageuses, tandis que cette elle-là marche, accrochée à la queue d'une vache qui connaît le chemin de l'étable. Elle porte une coiffe de dentelles et un habit noir, lustré. Elle ne me raconte pas d'histoires. Elle me regarde de ses yeux morts et enfoncés, elle me tient la main en silence. Elle n'a plus qu'une dent au milieu de la gencive supérieure. Elle ressemble à une sorcière avec un sautoir en or. Elle habite chez nous. Elle me laisse des traces. Elle fait battre mon cœur lorsque j'écris. Elle sent peut-être un peu le vieux. Elle porte en elle tous ces morts, tous ces morts. Elle ne met plus au monde les bébés. Elle laisse les femmes partir dans les maternités. Tandis qu'elle habite chez nous, le mois de mars 1965 m'apporte une petite sœur dans un burnous. Au bout d'un moment, Elle repart à l'Hôpital Emile Roux du Puy en Velay, sa dernière demeure. Elle, c'est pour mourir qu'elle choisit le printemps. Le 5 mars 1966, le même jour que sa mère. Elle a 74 ans. Ou bien elle ne choisit pas. Elle est fidèle aux dates et aux mémoires. Elle ne veut pas me quitter. Elle me laisse les images qui font peur, là, dans le couloir de ma mémoire.
1 commentaire:
Elle est dans le couloir de ta mémoire et elle t'inspire bien!
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