Elle aurait dû accoucher dans son lit, comme pour les autres. Mais pendant la traite, elle a tout juste le temps de gagner le fenil, courbée en deux. Elle pense aux premières douleurs, mais elle sent un flot tiède et soudain sortir d'elle. Elle croit perdre les eaux. Elle sait les naissances, c'est la neuvième fois. Mais la petite est déjà là, qui ne crie pas tout de suite. Elle relève son tablier. Elle glisse l'enfant dans le berceau de fortune, tapissé de foin odorant. Elle traverse la cour de la ferme. Elle sait qu'il faut faire vite. Elle marche sur la neige, tombée en abondance, qui amortit ses pas et crisse moelleusement. Elle ralentit sa marche ; elle laisse tomber sur l'immaculé des filets rosés, entre l'étable et la maison. Elle lave son bébé. Elle le frictionne vigoureusement. Elle soupire, soulagée, quand elle l'entend crier. Elle découvre que c'est une fille. Encore une fille....La neuvième fille...minuscule, arrivée bien avant l'heure. Elle l'attendait pour la Chandeleur mais elle accouche le dernier jour de Novembre. Elle entend son homme dire : Novembre, c'est Miz du, le mois noir, en breton, il l'a appris l'an dernier, sur le front, de ses camarades bretons. Elle sait que l'armistice aussi , l'an dernier, c'était en plein miz du.
Elle dépose le petit corps emmailloté dans une boîte à chaussures, garnie de coton. Elle glisse la boîte vagissante dans la niche du fourneau. Puis elle s'allonge. Elle sent que tout tourne autour d'elle. Elle entend loin, très loin, son homme atteler la charrette. Elle sait qu'il va au bourg, chercher le docteur. Elle sait que la jument va glisser sur le pont, à cause du verglas. Elle craint pour la vie de sa petite. Mais la vie s'accroche, et la petite est là. Et bien là...
Ce soir elle ira traire...
1 commentaire:
On se croirait dans le film "Sans adieu", mais peut-être est-ce bien dans cette ferme-là ?
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