Gestes de pierres:
Assise
sur la pierre de seuil, je
frottais
deux silex l’un contre l’autre, certaine
de faire du feu. Seules quelques étincelles que
je croyais voir,
emplies d’une odeur désirable me
faisaient
espérer un
miracle qui
ne s’est jamais produit!
Sans doute était-ce l’année où le maître nous lisait chaque
samedi après-midi, avant la fin de la classe un extrait de La
guerre du feu,
dont le souvenir encore vif subsiste. La percussion des pierres
suivie d’une production d’étincelles suffisaient à relier à un
monde d’histoires dont je
me
laissais
imprégner de tout mon
être. Les
Oulhamr fuyaient dans la nuit épouvantable. Fous de souffrance et de
fatigue, tout leur semblait vain devant la calamité suprême: le Feu
était mort. Ils l’élevaient dans trois cages, depuis l’origine
de la horde; quatre femmes et deux guerriers le nourrissaient nuit et
jour.
Assise
sur la pierre de seuil, j’étais
dans cette Préhistoire: Naoh
aperçut, parmi des saules, une femme qui frappait l’une contre
l’autre deux pierres. Des étincelles jaillissaient, presque
continues, puis un petit point rouge dansa le long d’une herbe très
fine et très sèche ; d’autres brins flambèrent, que la femme
entretenait doucement de son souffle : le Feu se mit à dévorer des
feuilles et des ramilles. Le fils du Léopard songea, pris d’un
grand saisissement : “Les Hommes-sans-Épaules cachent le Feu dans
des pierres!” .
Assise
sur le seuil de ma vie, je ne frottais
pas les bonnes pierres; j’ai dû mal écouter le maître ou laisser
voguer mon esprit sur le premier mot entendu silex
et ne pas entendre la suite car tout était déjà dit: Il
apprit qu’il fallait deux pierres de sorte différente: la pierre
de silex et la marcassite.
Quel
feu cachent
donc les pierres que je cueille au long des errances sur ces chemins
sablonneux, et
sur tous les chemins que frotte mon pas
? Que ce soit le granite du Velay ou celui de Margeride aux cristaux
de feldspath plus gros, celui
à dents de cheval
, ils
ont simplement la particularité de me faire
de l’oeil
, de se laisser miroiter,
ou de se métamorphoser en un lapsus
oculi
savoureux : un visage soudain vous fixe, une
silhouette de souris se
fait jour, un monstre s’expatrie.
Et
d’un ricochet, je suis sur les plages de l’ile de Ré à
guetter ces galets troués qui
peuplent les étagères d’aujourd’hui.
Mais
je m’éloigne de ma carte. En
Haute-Loire et plus spécifiquement en
Margeride, le
granite est présent à
tous les carrefours: dans ces croix témoins d’un monde où
le sacré s’insinuait entre les herbes , dans ces piquets plantés
pour les clôtures, sur les ponts pour franchir les ruisseaux
sinueux, dans
les bâtisses, dans les cimetières…
Quelle
flamme pourrait jaillir de ces face
à face
de pierres? La pierre dans la paume, les
pierres dans la poche et dans le sac à dos
ou
le mot dans la tête qui n’arrête
pas
de tinter, de peser – de peur de l’
oublier - jusqu’à gagner
son
poids de pierres.
La
brûlure des mots lus et recueillis sur des carnets , ou de
ceux qui éclosent en marchant et
qui se cognent entre eux jusqu’à saigner.
C’est
le même geste: on amasse, on rapproche, on jette, on garde, on
bâtit.
De
la pierre de seuil au seuil d’être, il
n’y a qu’un regard qui,
emporté par l’image soudaine, s’incarne dans un imaginaire sans
entraves.
2 commentaires:
Il y a de la belle mélancolie dans ces lignes...
Tes deux derniers textes sont superbes et la vidéo m'a fait penser à mon institutrice, si claire si pédago. J'ai même senti l'odeur de l'herbe quand la flamme a pris ...
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