Cartographie Nord
C’est dans un îlot cerné d’aucune mer, mais simplement du halo de l’enfance,
que s’étale le grand atlas au vert de velours du Reader’s
digest, survenu par voie postale et devant lequel du haut de mes huit
ans je restais aimantée des heures durant, fascinée par ces
archipels de taches colorées dessinant les reliefs d’un monde
balayé de rayons ocre vert ou bleu – langues de soleil ou
haillons de costumes d’Arlequin - . Entre le réel et ce que je
pouvais en comprendre un abîme se creusait, empli des incertitudes
et des questions, où se noyait mon regard déjà flou.
Cartographie Est
Du bout de l’ongle
gratter les souvenirs exténués à feuilleter les pages d’un album
sur l’Europe ou l’Asie composé de petites images collectées
dans les tablettes de chocolat Pupier , de le voir rempli et ainsi de
permettre à mon père de parvenir au cadeau offert par le fabricant.
Estonie, Lettonie, Lithuanie, devenaient des noms courants pour moi,
vigne vierge de mon panthéon géographique dans laquelle mes doigts
se perdaient, tournant les pages et scrutant des cartes de pays
improbables où je ne songeais nullement aller un jour, mais où
s’égaraient mes pensées louvoyant entre les sillons sinueux du
temps.
Cartographie Ouest
Il tournait en une
échappée belle sans tumultes et sans souci du halètement du temps,
il tournait sur lui-même mieux que la langue dans le palais, plus
léger que le prisonnier dans la cour, plus hallucinant qu’un train
pénétrant dans un tunnel, plus énigmatique que la lecture du Club
des cinq, plus étonnant que le paysage de l’au-delà de la
fenêtre. Il tournait et mon doigt se posait brusquement pour arrêter
sa course avide du hasard que je pensais prémonitoire, comme on
ouvre un livre n’importe où et que l’on souhaite une phrase, des
mots bleus, rien que pour soi.
Cartographie Sud
Au carrefour des
lignes tortueuses ou rigides , je plonge le regard, je cherche le
trajet bridé de boursouflures, les lisières d’écume,
l’entre-deux des coulées de verdure, les ruines embusquées dans
les craquelures de la carte où avec certitude il faut se rendre pour
dénicher un point de vue, une fenêtre sur un monde disparu, où
poursuivre quelque lumière. Respirer, rêver sur les rivages d’une
carte IGN, dresser le parcours d’un temps futur , s’approcher de
la graphie de la carte avec la géographie de mon œil , basculer
dans son abîme, repousser l’horizon des possibles : ivresse
d’errance.
3 commentaires:
une de mes astuces pour m'endormir c'est de me réciter LE BATEAU IVRE. Il fut un temps où je le connaissais en entier ; j'arrive à présent à me souvenir d'une dizaine de strophes, en espérant m'endormir avant l'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes. et j'y entends la voix de Ferré aussi qui module. parfois j'oublie des mots mais je me souviens de la musique et du rythme. Tout ça pour dire que je m'en vais apprendre tes 400 mots qui me berceront avec dedans de vrais morceaux de chocolat et des images de pays où tu ne voulais pas aller ; le Pérou devait en faire partie...? Brava !
Le Pérou reste un bon souvenir!!!! Merci à toi...
Ah! que rêver au bord des cartes de pays, disparus avant que de les connaître, réveille de vieilles nostalgies de départ vers des mondes lointains aujourd'hui effacés, ces mondes que l'on n'envisageait même pas d'aller voir, le rêve nous suffisait. C'est cette atmosphère que tu fais revivre: un vrai plaisir.
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